Tout le monde le sait, et ça ne date pas d’hier: si Donald Trump redevient président des Etats-Unis, l’Europe devra sérieusement se préparer à défendre ses arrières. Le débat fait déjà rage dans les sphères politiques et militaires depuis un moment.
Pourtant, comme le souligne une analyse du Financial Times: «jusqu’à présent, les paroles n’ont pas été suivies d’actions». Un haut responsable européen de la sécurité, cité par le journal, va même plus loin:
Un des acteurs qui va sûrement devoir s’attaquer à ce problème est Norbert Röttgen. Sans doute peu connu en Suisse romande, ce politicien influent de la CDU (conservateur) et expert en défense est pressenti pour jouer un rôle clé dans la prochaine coalition gouvernementale allemande après les élections de février. Intervenant dans un article de Foreign Affairs, il met en garde:
La sécurité du continent repose aujourd’hui largement sur l’Otan, une organisation qui, sans les Américains, s’apparente à un tigre de papier. Même si les pays membres s’engagent enfin à respecter leurs obligations financières – à savoir investir au moins 2% de leur PIB dans la défense –, les problèmes restent énormes.
D’abord, la dépendance envers les Etats-Unis est colossale. Une grande partie des équipements, comme le célèbre avion de chasse F-35 – acheté d'ailleurs par la Suisse – ou l’avion de transport C-17 (capable de transporter 75 tonnes sur 4500 kilomètres, au prix modeste de 340 millions de dollars), vient d’outre-Atlantique.
Ensuite, les systèmes d’armement européens souffrent d'un énorme manque d'uniformisation. Tandis que les Américains se débrouillent avec 32 types de systèmes différents, l’Europe en compte… 172, selon une étude de McKinsey. Même dans un domaine clé comme les munitions de 155 mm, cruciales dans la guerre en Ukraine, il existe plus d’une douzaine de standards différents.
Pierroberto Folgiero, patron du géant italien de l’armement Fincantieri, l’a bien résumé dans le Financial Times:
Mais voilà, le secteur est en plein essor et chaque pays défend ses «champions nationaux», explique l'Italien. Pourquoi fusionner quand le business fonctionne à fond? «Cela demandera une volonté politique immense», ajoute-t-il.
La question de savoir qui prendra les rênes de l’Otan en cas de retrait américain, même partiel, reste entière. Jusqu’ici, les Etats-Unis étaient le chef incontesté de l'organisation et son principal bailleur. Mais sans eux, une bataille pour le leadership européen pourrait éclater.
Edward Stringer, ancien maréchal de la Royal Air Force britannique, prévient dans le Financial Times:
Enfin, il y a l’épineuse question de l’argent. L'Allemand Norbert Röttgen rappelle que l’Union européenne à les moyens économiques pour rivaliser avec la Russie – après tout, son PIB est plus de dix fois supérieur à celui de Moscou. Mais ce qui manque cruellement, selon lui, c’est une vraie volonté politique.
Les euro-obligations, comme celles utilisées pendant la crise du Covid pour mutualiser les dettes, pourraient être une solution. Pourtant, les Pays-Bas et l’Allemagne s’opposent farouchement à ces «Eurobonds», qu’ils considèrent comme un instrument diabolique.
Peu importe comment on finance tout ça, une chose est sûre: même si la guerre en Ukraine s’arrêtait demain (et c’est un énorme «si»), le problème resterait. L’Europe doit apprendre à se défendre seule. Espérer que la Russie reste affaiblie pendant des décennies est une illusion dangereuse.
Le général Christopher Cavoli, commandant suprême de l’Otan, met d’ailleurs en garde: