Evgueni Prigojine fulmine contre le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valeri Gerassimov. Le chef de la troupe Wagner insulte l'armée russe et aurait même proposé aux services secrets ukrainiens de trahir les positions russes en échange d'un retrait de Bakhmout. C'est du moins ce que rapporte le Washington Post.
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On pourrait donc s'attendre à ce que Evgueni Prigojine soit mis au placard pour trahison et que sa troupe de mercenaires soit dissoute. Mais le «cuisinier de Poutine» peut apparemment tout se permettre. Andrei Soldatov et Irina Borogan expliquent pourquoi dans le magazine Foreign Affairs.
Il existe actuellement quatre centres de pouvoir en Russie: premièrement, les services secrets de l'armée, le GRU. Deuxièmement, l'armée elle-même. Troisièmement, le FSB, l'équivalent civil du GRU, et quatrièmement, le président Vladimir Poutine.
Ces quatre blocs ne travaillent pourtant pas du tout en harmonie. Ce sont surtout les généraux et l'armée régulière qui forment une sorte d'Etat dans l'Etat.
Les experts précisent: «Cela signifie que les contrôles habituels du gouvernement et du public sur l'armée, que ce soit par le parlement, la justice ou les médias, n'existent tout simplement pas en Russie».
Après son entrée en fonction, Vladimir Poutine a tenté de maîtriser cet Etat dans l'Etat. C'est pourquoi il a nommé un outsider, son ancien ami du KGB Sergei Iwanow, au poste de ministre de la Défense. Celui-ci a tenté de faire passer une réforme complète de l'armée et a échoué. En 2007, le président russe a donc dû le limoger.
Sergueï Choïgou, l'actuel ministre de la Défense, n'est pas issu des rangs de l'armée. Son prestige auprès des généraux est donc limité. De plus, le pouvoir des généraux augmente avec la durée de la guerre. Andrei Soldatov et Irina Borogan constatent:
Voilà pourquoi les mercenaires de Wagner sont si importants. Leur patron est le GRU et les Spetsnaz, une unité d'élite de l'armée. Sous Sergueï Choïgou, les deux ont eu le vent en poupe. Ils ont été des facteurs importants dans les conflits en Syrie et en Crimée. Au début, en restant cachés, car officiellement, les mercenaires sont toujours interdits en Russie.
En 2015, le portail en ligne fontanka.ru a parlé pour la première fois de Wagner et a rendu public le fait que Dmitry Utkin, un ancien commandant de Spetsnatz, était leur chef militaire. Aujourd'hui, Evgueni Prigojine fait de la publicité pour ses troupes avec des affiches géantes à Moscou et les fait passer pour des héros à la télévision nationale.
Le fait que des mercenaires privés soutiennent l'armée officielle n'est pas spécifique aux Russes. Les Américains ont également fait appel à une armée privée en Irak avec Blackwater.
Les prédécesseurs de Wagner remontent toutefois plus loin dans le temps, à l'époque de l'Union soviétique. Staline avait, en effet, fait appel à des mercenaires russes pendant la guerre civile espagnole contre les troupes de Franco.
Actuellement, les mercenaires de Wagner ne sont pas uniquement utiles sur le front à Bakhmout. Ils font également contrepoids aux généraux autocrates.
Parallèlement, Evgueni Prigojine est devenu en quelque sorte le bouffon du Kremlin. C'est également une tradition en Russie. Pierre le Grand, que Vladimir Poutine cite régulièrement comme son modèle, avait, lui aussi, un bouffon. Il s'appelait Alexandre Menchikov et était à l'époque le prince le plus puissant de la cour, mais ne faisait pas non plus partie de l'aristocratie russe. Comme le chef du groupe Wagner, il était aveuglément dévoué au tsar et était considéré comme brutal et impitoyable.
Mais Vladimir Poutine n'est pas Pierre le Grand, et Evgueni Prigojine devient un bouffon de plus en plus coûteux. Comme l'était autrefois Alexandre Menchikov, l'ancien bagnard est méprisé par l'élite. C'est pourquoi il ne peut pas être politiquement dangereux pour le président russe.
Toutefois, s'il devait perdre la bataille du Bakhmout, ce qui semble tout à fait possible actuellement, Vladimir Poutine pourrait le laisser tomber. Il aurait alors sacrifié inutilement des dizaines de milliers de vies humaines et brûlé d'énormes réserves de munitions. Il ne faut jamais oublier que la loyauté du chef du Kremlin envers ses subordonnés est très limitée.
Traduit et adapté par Nicolas Varin