Le choc est encore grand. Samedi soir, les Gardiens de la révolution iraniens ont lancé des drones kamikazes et des missiles balistiques en direction d'Israël. Un événement qui augure une éventuelle escalade, surtout qu'il s'agit de la première attaque directe de l'Iran contre le territoire israélien.
Les conséquences immédiates ont toutefois été minimes: presque tous les missiles ont pu être abattus ou interceptés. Il n'y a pas eu de victimes, seulement quelques dommages sur une base militaire israélienne.
Mais la question qui taraude est désormais la suivante: comment les dirigeants israéliens vont-ils réagir? D'une part, ils voudront envoyer un signal de mécontentement. D'autre part, une riposte pourrait alimenter l'escalade – et cela pourrait rapidement devenir incontrôlable. La ligne rouge qui déclencherait une guerre n'a certainement pas été franchie samedi. Pourtant, la région semble actuellement plus proche que jamais d'un embrasement généralisé.
Dans ce contexte, c'est surtout Benjamin Netanyahou qui profite politiquement de la situation. Il joue un jeu risqué avec sa stratégie de danser sur la poudrière du Proche-Orient. Jusqu'à présent, son calcul a fonctionné: après les vives critiques internationales contre l'intervention dans la bande de Gaza, l'attaque iranienne a permis à Israël de se ranger fermement aux côtés de ses partenaires occidentaux. Mais le jeu de la guerre et de la paix aurait aussi pu se retourner contre le premier ministre.
L'attaque iranienne n'est pas une surprise pour de nombreux experts. Depuis sa prise de pouvoir en 1979, le régime islamiste considère Israël et les Etats-Unis comme ses ennemis jurés. Les mollahs ne reconnaissent pas l'Etat hébreu et cette hostilité est fermement ancrée dans leur idéologie.
Un combat en coulisses se prépare depuis des décennies au Proche-Orient. L'Iran construit contre Israël un «axe de la résistance» chiite. Le régime soutient le Hezbollah au Liban, les rebelles Houthi au Yémen, les milices chiites en Irak et le Hamas dans la bande de Gaza. Tous ces groupes sont équipés de missiles qui visent principalement Israël. Face à cette menace, l'armée israélienne ne reste pas les bras croisés.
Les offensives contre les positions des Gardiens de la révolution iraniens en Syrie ou contre le programme nucléaire sur sol iranien sont récurrentes. Israël ne les revendique jamais officiellement et ne les commente généralement pas non plus. Mais on peut avoir la certitude presque totale qu'Israël agit ainsi pour minimiser la menace que représente l'Iran.
Israël et les Etats-Unis s'attendaient à l'attaque survenue ce week-end. Et pour cause: beaucoup attribuent à l'armée israélienne la responsabilité de l'attentat du 1ᵉʳ avril en Syrie.
Une réaction des dirigeants iraniens était donc attendue. Pourtant, le déroulement de l'attaque dans son entier laisse transparaître une intention d'exercer des représailles plutôt symboliques.
Les médias d'Etat iraniens avaient annoncé samedi le lancement de leurs drones et Israël et les Etats-Unis avaient été avertis. Les mollahs auraient par ailleurs informé les Américains à l'avance par le biais d'autres pays de la région. Le choix de la cible et l'ampleur de l'opération laissent en outre penser que les mollahs ne voulaient pas franchir de ligne rouge. Dimanche à Téhéran, ils n'ont cependant pas manqué de célébrer l'attaque, bien qu'aucun missile ni drone n'ait atteint sa cible.
Pour l'Iran, il s'agit avant tout de démontrer sa propre capacité de réaction afin de ne pas laisser sans suite les agressions contre ses militaires à l'étranger. En voulant polir son ego national, le régime s'est fourvoyé. Car la réponse déterminée d'Israël et de ses partenaires à l'attaque montre également aux mollahs leurs limites militaires.
Benjamin Netanyahou, lui, en revanche, en profite. Il pourrait même avoir spéculé sur un tel scénario en attaquant les Gardiens de la révolution à Damas au début du mois. Bien entendu, le chef d'Etat savait que ce genre de manœuvre pourrait déclencher une réplique iranienne. Ces règles ne sont autres que celles du jeu de pouvoir sanglant qui se joue au Proche-Orient depuis de nombreuses décennies.
Sur un plan de politique intérieure, le premier ministre israélien a ainsi pu démontrer à la population qu'il était en mesure de protéger le pays. Après l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023, c'est important pour son gouvernement. En politique étrangère, l'attention de ses partenaires internationaux s'est déplacée de la bande de Gaza vers l'Iran. Samedi soir encore, de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement occidentaux ont proclamé leur solidarité sans limites avec Israël. Cette même solidarité s'était fortement effritée récemment à cause de la guerre menée par Israël à Gaza.
Les Etats-Unis avaient en outre menacé Israël de cesser de lui livrer des armes. Or, le pays en est tributaire pour le bon fonctionnement de son armée. Mais tout cela vient de changer. Car aucun Etat occidental ne voudra désormais risquer qu'Israël ne puisse plus se défendre face à l'Iran. Téhéran a probablement aussi calculé qu'elle ne ferait militairement pas le poids contre Israël et les Etats-Unis. Le gouvernement israélien, quant à lui, a désormais le temps de respirer et de penser à la suite – pour Gaza autant que pour une réaction face à l'Iran.
Mais ce que Netanyahou a obtenu, c'est en fait un sursis. La solidarité de ses partenaires occidentaux avec son gouvernement dépendra des prochaines mesures israéliennes. L'escalade après l'attaque iranienne montre également que les principaux acteurs de la communauté internationale perdraient des plumes en cas d'embrasement généralisé au Proche et au Moyen-Orient. La ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock le reconnaît:
C'est pour cette raisons que Washington et Berlin tentent maintenant d'influencer fortement Netanyahou. D'une part, ils condamnent fermement l'attaque israélienne. D'autre part, le président américain Joe Biden assure à Netanyahou qu'il a gagné cette bataille et qu'un retour à l'apaisement est vital. Sur le papier, c'est vrai, Israël ne déplore aucune perte et les mollahs ont déclaré dimanche être parvenus à leurs fins.
Mais malheureusement, les conflits ne suivent pas toujours cette logique simple. Ils sont souvent chargés de symboles et permettent une démonstration de force nationale.
Ainsi, on ne peut pas exclure que l'armée israélienne réplique d'une manière ou d'une autre. Mais Netanyahou prendra probablement son temps pour ne pas mettre en péril les relations avec ses alliés. Quant à l'Occident, il s'agit de s'accorder le plus étroitement possible avec son allié sur l'ampleur de cette riposte pour éviter le pire.
Une escalade généralisée tournerait en effet au cauchemar. Outre une guerre avec de nombreuses victimes, cela entraînerait également les Etats-Unis dans le conflit – touchant Biden en pleine campagne électorale. Des affrontements majeurs dans la région provoqueraient de nouveaux mouvements de fuite vers l'Europe. Ils mettraient aussi en danger les principales routes commerciales maritimes entre l'Asie et le Vieux Continent. Cet embrasement ne ferait pas non plus le beurre de la Russie, car Moscou a besoin des armes produites en Iran pour combattre en Ukraine. Les super puissances dominantes ont donc un intérêt commun à éviter cette catastrophe.
(Adaptation française: Valentine Zenker)