Jouez violons, sonnez trompettes. Après les très pandémiques «déconfinement», «Covid» ou encore «téléconsultation», le mot «iel» vient de faire son apparition remarquée dans le Dico en ligne Le Robert. Définition de ce nouveau venu (lien ici):
Disons-le d'emblée: personne, ou presque, n'utilise ce vocable. Mais ce n'est pas tant pour cela que l'entrée du mot dans le Dico en ligne Le Robert a fait beaucoup de vagues. C'est que ce pronom est devenu le porte-étendard d'une vision de l'homme et de la femme qui ne se satisfait justement pas de ces concepts jugés trop restreints («homme» et «femme»). Voici l'enjeu:
Face aux nombreuses réactions, notamment en France, et jusqu'au sommet de l'Etat, à l'égard de l'entrée d'«iel» dans ses pages, Le Robert s'est exprimé par la voix de son président Charles Bimbenet au moyen d'un communiqué:
Ajoutant:
De là à comprendre que «iel» serait couramment répandu dans le langage, il n'y a qu'un pas, n'est-ce pas? Mais non, à en croire la suite de la déclaration officielle:
En somme, il y a une tendance autour de ce mot, dont il faut rendre compte. Nous avons voulu en savoir plus en demandant aux équipes du Robert si elles pouvaient nous spécifier les critères précis qui sont utilisés pour quantifier l'importance d'un usage – ou d'un début d'usage. Or, malgré nos sollicitations, les services du dictionnaire n'ont pas donné suite à notre demande.
Notons qu'outre le point central de l'usage de plus en plus fréquent du mot dans certains cercles, ce second argument est avancé dans le communiqué:
La grande force de l'entrée d'un mot dans un dictionnaire, selon le professeur de sociolinguistique (Unil/Chuv) Pascal Singy, c'est que ça lui offre une existence officielle, institutionnelle: «Le langage découpe le monde. La réalité prend corps, en quelque sorte, dès lors qu'on la nomme». C'est une forme de reconnaissance, d'attestation, d'une réalité qui existait déjà avant qu'on la désigne.
Mais au fait, un nouveau mot dans un dico, est-ce que ça nous concerne vraiment, surtout en 2021? «Oui», selon le professeur. «Bien que peu consulté, le dictionnaire reste une référence. Je pense qu'il y en a encore un dans beaucoup de ménages. Et ne comptons pas les dicos en ligne.» D'après Pascal Singy, le rapport des humains aux ouvrages lexicaux demeure vibrant:
Par conséquent: «Si l'on prend le mot "iel", un enfant qui souhaite l'utiliser face à son professeur ou à ses parents pourra légitimer son souhait: "C'est dans le dictionnaire!"».
S'il n'a pas d'avis tranché sur la pertinence de l'entrée de ce mot grammatical dans le Dico en ligne Le Robert, Pascal Singy voit dans l'intensité des controverses du moment un extraordinaire coup de publicité pour ce dictionnaire. Et surtout une occasion de mettre en lumière les personnes qui, réellement, ont un problème d'identité de genre:
Un langage dont le sociolinguiste se réjouit qu'il se retrouve au centre de l'attention. «On est ici dans le métalangage: on discute (par le langage) au sujet du langage.» Et vu l'intérêt suscité par cette discussion au sein de la société, dont se font écho les médias, ce n'est pas seulement notre interlocuteur et ses confrères qui se passionnent pour le sujet. Décidément, la langue est un bien commun. Et comme en politique, sa nature fait débat.