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«Ma femme n'aura pas le droit»: pourquoi l'«islam TikTok» inquiète

L'influenceur Adel.
L'influenceur Adel.image: capture d'écran
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«Ma femme n'aura pas le droit»: pourquoi l'«islam TikTok» inquiète

Avec près de 800 000 abonnés sur TikTok, Adel, un influenceur s'affichant comme musulman, s'est fait remarquer dans une vidéo où il énumère les interdits qu'il appliquera à sa «future femme». Watson a fait réagir des islamologues sur un phénomène préoccupant.
10.01.2024, 18:5712.01.2024, 10:51
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Il est inconnu, sauf des 790 000 abonnés de son compte TikTok. Adel a un air de Jean-Claude Van Damme jeune. De nationalité française, il est footballeur et influenceur. Il est musulman. Le 6 janvier, Adel a posté une vidéo dans laquelle il indique à sa future épouse, lorsqu’il en aura une, tout ce qu’elle ne n'aura pas le droit de faire:

«Ma femme aura interdiction d'avoir des amis garçons, ma femme aura interdiction de travailler où il y aura des garçons, ma femme aura interdiction de s'exposer sur les réseaux sociaux. Ma femme aura interdiction de partir en voyage sans moi. C'est moi qui la protège. Si je ne suis pas là, je l'autorise à voyager avec son grand frère ou son père, c'est tout. Ma femme aura interdiction de s'habiller avec des habits moulants. Il n'y a aucun homme qui regarde le corps de ma femme. Le corps de ma femme, il est à moi. Minimum habits très très larges et le mieux, le voile, mais je ne veux pas la forcer.»

On a là le catalogue plus ou moins complet de la femme soumise à son mari, son père, ses frères, selon une vision des plus rigoristes de l’islam, dite aussi salafiste, diffusée notamment sur TikTok, le réseau social qui donne des boutons aux gouvernements européens. Précisons-le: si Adel s'exprime avec un aplomb certain, c'est sans hargne ni invectives.

Mardi, le jeune homme a retiré sa vidéo. Il commençait à avoir des commentaires négatifs sur Twitter. Puis, comme il le dit lui-même dans une nouvelle vidéo, CNews, TPMP et Estelle Midi se sont emparées de ses propos, n’en disant pas du bien.

Visiblement en recherche d’une notoriété qu’il a partiellement atteinte, Adel assure à présent que si ses mots ont déclenché des réactions hostiles, c’est en raison de son succès d’audience sur TikTok. Il précise qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il a dit sur la femme, que c’était un exercice d’acteur, réussi selon lui, réaffirmant au passage sa fierté d’être français.

Maître Gims avant lui

Seulement un numéro d’acteur? D'un numéro qui s'étire dans la durée, alors. Adel a fait le ménage dans sa production TikTok parsemée de chants religieux et de conseils aux croyants. Plusieurs vidéos ont disparu depuis lundi. Il y a quelques jours encore, il invitait ses coreligionnaires à ne pas souhaiter joyeux Noël, ni même la bonne année, prétendant que le faire est «haram», interdit en islam. Début 2022, Gims s’était adressé aux musulmans dans les mêmes termes, avant de rétropédaler.

En 2022 toujours, avant l'élection présidentielle, Adel appelait à voter pour le candidat Jean-Luc Mélenchon, qui convoitait ouvertement le «vote musulman».

Aujourd’hui, en France, si un imam s’aventurait à parler comme Adel l’a fait des femmes, mais aussi de Noël et de Nouvel An, il est probable que ses propos tomberaient sous le coup de la loi séparatisme, adoptée après l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. L’association qui l’emploie se séparerait de lui. La mosquée où il officie serait éventuellement menacée de fermeture.

Le gouvernement français a considéré que de telles considérations, en créant des dilemmes insolubles, étaient susceptibles de faire basculer des individus dans la radicalité.

«Ce qu’affirme ce jeune homme n’est pas si caricatural», réagit l’islamologue belge Michael Privot, qui nous avait parlé de l’«islam TikTok» en marge du double attentat de Bruxelles ayant coûté la vie à deux Suédois en octobre.

«Tout ce qu’il dit reprend sans les mentionner des hadiths, c’est-à-dire des propos attribués au prophète Mohamed dans la tradition sunnite. Auparavant, il n’y a pas si longtemps, ce sont des prêcheurs ou imams YouTube qui professaient ces soi-disant recommandations. Ils le faisaient le plus souvent dans des vidéos, d'où leur surnom. Au moins mettaient-ils les choses dans leur emballage, si je puis dire, dans un contexte. Mais là, rien.»
Michael Privot

Pour Michael Privot, pris isolément, les propos rigoristes d’un tiktokeur «n’ont pas de réelle incidence».

«C’est l’accumulation de ces discours, leur répétition à haute dose, qui fait système»
Michale Privot

L'islamologue belge développe: «Si trois ou quatre personnes disent la même chose des dizaines de fois, à la fin, cela crée un univers de sens. Des individus peuvent alors décrocher, s’enfermer, rejeter le monde qui les entoure. Les prédicateurs traditionnels font face à la concurrence des réseaux sociaux, beaucoup se sentent impuissants face à ce phénomène.»

Ce glissement des lieux de culte vers les réseaux sociaux fait dire à certains que TikTok est devenu la mosquée de la jeune génération musulmane.

Michael Privot n’est pas totalement pessimiste. «L’offre de vidéos sur TikTok est considérable. Les jeunes à l’écoute de contenus rigoristes ont de grandes chances de tomber aussi sur des vidéos de bimbos à Dubaï. L’enfermement n’est pas total. L’altérité est d’une certaine manière possible.»

«La femme est au centre de la pensée de tout islamiste»

La Suissesse Saïda Keller-Messahli, auteure du livre «La Suisse, plaque tournante de l’islamisme» (éditions Alphil), a visionné quelques vidéos d’Adel «pour se faire une idée». Son point de vue:

«J’ai l’impression que c’est quelqu’un qui se cherche une structure rigide à laquelle se tenir. Il n’a pas l’air à la hauteur face à toutes les possibilités de beauté, de femmes en l’occurrence. Il a comme besoin d’une image du monde en noir et blanc, avec une définition très affirmée du bien et du mal. Plus généralement, mais cela ne s’applique peut-être pas à ce jeune homme, la femme est au centre de la pensée de tout islamiste.»
Saïda Keller-Messahli

On est surpris par l’absence d’une veille religieuse, dont la tâche serait de contrer, sur leur terrain, des propos extrêmes tenus par de jeunes influenceurs et influenceuses se réclamant de l’islam. La crainte de faire de la publicité à des musulmans «qui font honte à la communauté», la peur de «stigmatiser l’islam» en révélant les outrances de certains, le fait, à l'inverse, d'approuver tout ou partie de ces contenus rigoristes expliquent en partie ce silence apparent.

Il y a des exceptions. Michael Privot cite le cas du professeur belge de religion islamique, Hicham Abdel Gawad, qui, dans des vidéos, décrypte des discours radicaux.

Haoues Seniguer est maître de conférences en sciences politiques à Lyon. «Dans l’islam sunnite, il n’y a pas de mécanisme institutionnel de modération de la parole», note-t-il.

«L’islam sunnite est théologiquement protestant et politiquement catholique»
Haoues Seniguer

Haoues Seniguer s'explique:

«Théologiquement protestant, parce que, fondamentalement, personne ne peut dire à un autre qu’il n’a pas accès aux textes religieux. Politiquement catholique, parce qu’il y a des autorités religieuses, des oulémas, auxquelles les croyants de référent. On dit que les avis des oulémas établissent un consensus doctrinal.»
Haoues Seniguer

Pour l'heure, un apparent consensus se forme sur TikTok sur des aspects rigoristes de l'islam.

On apprenait mardi, qu'à la suite de sa vidéo polémique, Adel a été exclu du club de football où il évoluait dans le Sud de la France.

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