Il est inconnu, sauf des 790 000 abonnés de son compte TikTok. Adel a un air de Jean-Claude Van Damme jeune. De nationalité française, il est footballeur et influenceur. Il est musulman. Le 6 janvier, Adel a posté une vidéo dans laquelle il indique à sa future épouse, lorsqu’il en aura une, tout ce qu’elle ne n'aura pas le droit de faire:
On a là le catalogue plus ou moins complet de la femme soumise à son mari, son père, ses frères, selon une vision des plus rigoristes de l’islam, dite aussi salafiste, diffusée notamment sur TikTok, le réseau social qui donne des boutons aux gouvernements européens. Précisons-le: si Adel s'exprime avec un aplomb certain, c'est sans hargne ni invectives.
Mardi, le jeune homme a retiré sa vidéo. Il commençait à avoir des commentaires négatifs sur Twitter. Puis, comme il le dit lui-même dans une nouvelle vidéo, CNews, TPMP et Estelle Midi se sont emparées de ses propos, n’en disant pas du bien.
Visiblement en recherche d’une notoriété qu’il a partiellement atteinte, Adel assure à présent que si ses mots ont déclenché des réactions hostiles, c’est en raison de son succès d’audience sur TikTok. Il précise qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il a dit sur la femme, que c’était un exercice d’acteur, réussi selon lui, réaffirmant au passage sa fierté d’être français.
Seulement un numéro d’acteur? D'un numéro qui s'étire dans la durée, alors. Adel a fait le ménage dans sa production TikTok parsemée de chants religieux et de conseils aux croyants. Plusieurs vidéos ont disparu depuis lundi. Il y a quelques jours encore, il invitait ses coreligionnaires à ne pas souhaiter joyeux Noël, ni même la bonne année, prétendant que le faire est «haram», interdit en islam. Début 2022, Gims s’était adressé aux musulmans dans les mêmes termes, avant de rétropédaler.
En 2022 toujours, avant l'élection présidentielle, Adel appelait à voter pour le candidat Jean-Luc Mélenchon, qui convoitait ouvertement le «vote musulman».
Aujourd’hui, en France, si un imam s’aventurait à parler comme Adel l’a fait des femmes, mais aussi de Noël et de Nouvel An, il est probable que ses propos tomberaient sous le coup de la loi séparatisme, adoptée après l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. L’association qui l’emploie se séparerait de lui. La mosquée où il officie serait éventuellement menacée de fermeture.
Le gouvernement français a considéré que de telles considérations, en créant des dilemmes insolubles, étaient susceptibles de faire basculer des individus dans la radicalité.
«Ce qu’affirme ce jeune homme n’est pas si caricatural», réagit l’islamologue belge Michael Privot, qui nous avait parlé de l’«islam TikTok» en marge du double attentat de Bruxelles ayant coûté la vie à deux Suédois en octobre.
Pour Michael Privot, pris isolément, les propos rigoristes d’un tiktokeur «n’ont pas de réelle incidence».
L'islamologue belge développe: «Si trois ou quatre personnes disent la même chose des dizaines de fois, à la fin, cela crée un univers de sens. Des individus peuvent alors décrocher, s’enfermer, rejeter le monde qui les entoure. Les prédicateurs traditionnels font face à la concurrence des réseaux sociaux, beaucoup se sentent impuissants face à ce phénomène.»
Ce glissement des lieux de culte vers les réseaux sociaux fait dire à certains que TikTok est devenu la mosquée de la jeune génération musulmane.
Michael Privot n’est pas totalement pessimiste. «L’offre de vidéos sur TikTok est considérable. Les jeunes à l’écoute de contenus rigoristes ont de grandes chances de tomber aussi sur des vidéos de bimbos à Dubaï. L’enfermement n’est pas total. L’altérité est d’une certaine manière possible.»
La Suissesse Saïda Keller-Messahli, auteure du livre «La Suisse, plaque tournante de l’islamisme» (éditions Alphil), a visionné quelques vidéos d’Adel «pour se faire une idée». Son point de vue:
On est surpris par l’absence d’une veille religieuse, dont la tâche serait de contrer, sur leur terrain, des propos extrêmes tenus par de jeunes influenceurs et influenceuses se réclamant de l’islam. La crainte de faire de la publicité à des musulmans «qui font honte à la communauté», la peur de «stigmatiser l’islam» en révélant les outrances de certains, le fait, à l'inverse, d'approuver tout ou partie de ces contenus rigoristes expliquent en partie ce silence apparent.
Il y a des exceptions. Michael Privot cite le cas du professeur belge de religion islamique, Hicham Abdel Gawad, qui, dans des vidéos, décrypte des discours radicaux.
Haoues Seniguer est maître de conférences en sciences politiques à Lyon. «Dans l’islam sunnite, il n’y a pas de mécanisme institutionnel de modération de la parole», note-t-il.
Haoues Seniguer s'explique:
Pour l'heure, un apparent consensus se forme sur TikTok sur des aspects rigoristes de l'islam.
On apprenait mardi, qu'à la suite de sa vidéo polémique, Adel a été exclu du club de football où il évoluait dans le Sud de la France.