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Nucléaire: Pourquoi on ne doit pas tomber dans le bluff de Poutine

Nucléaire: Pourquoi on ne doit pas tomber dans le bluff de Poutine
Les partisans de Poutine veulent que nous tombions dans un piège nucléaire tendu par le président russe à l'Occident.image: Imgur
Analyse

Pourquoi nous ne devons pas tomber dans le bluff nucléaire de Poutine

Il est possible de mettre fin à la guerre en Ukraine sans recourir à la force nucléaire.
18.10.2022, 18:3918.10.2022, 18:39
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe

Bill Maher est un célèbre humoriste américain de centre-gauche. Dans sa dernière émission, il s'est demandé avec inquiétude si les Etats-Unis devaient vraiment risquer une guerre nucléaire juste pour décider si les provinces de Louhansk et de Donetsk doivent faire partie de la Russie ou de l'Ukraine.

Maher aborde ainsi un thème que les partisans de Poutine de gauche et de droite, de Yanis Varoufakis à Roger Köppel en passant par Tucker Carlson, prêchent depuis des semaines: Pour nous, l'Ukraine ne vaut pas une guerre nucléaire. Ils veulent implicitement dire par là: donnez au maître du Kremlin ce qu'il veut.

Les partisans de Poutine veulent que nous tombions dans un piège tendu par le président russe à l'Occident. Comme l'explique Andry Zagorodnyuk, ancien ministre ukrainien de la Défense, dans Foreign Affairs:

«Beaucoup de gens craignent que Poutine ne mette à exécution sa menace d'utiliser des armes nucléaires. Mais l'Occident peut intimider Poutine de manière à le dissuader d'envisager sérieusement une telle attaque.»

Le symbole d'une apocalypse nucléaire pourrait être représenté par le film légendaire «Dr Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb» de Stanley Kubrick. Ce dernier a été tourné en 1964, au plus fort de la guerre froide et sous l'influence de la crise de Cuba. Il s'agit d'une satire dans laquelle un général américain devenu fou ordonne une attaque contre l'Union soviétique. A la fin, un pilote de bombardier chevauche une bombe atomique à la manière d'un cow-boy et déclenche ainsi l'apocalypse.

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Tracy Reed, l'actrice principale du classique de Stanley Kubrick «Dr. Strangelove». image: medium.com

Un Poutine acculé pourrait également devenir fou, craignent désormais les Bill Maher et Roger Köppel de ce monde. En effet, Poutine est de plus en plus acculé sur le plan militaire. Un nombre croissant d'experts militaires considèrent que sa guerre contre l'Ukraine est déjà perdue. De plus, le président russe a déjà menacé à plusieurs reprises d'utiliser des armes nucléaires et a souligné que ce n'était «pas du bluff».

Nous ne devrions pas nous laisser prendre au piège par les menaces du président russe, ni par les prophètes de l'apocalypse. «L'image du nuage atomique comme point final de cette histoire génère de la peur et empêche de penser clairement», constate Timothy Snyder dans un essai publié par la NZZ:

«La focalisation sur ce scénario nous empêche de voir ce qui se passe réellement et de nous préparer à des scénarios plus probables.»

Snyder est professeur d'histoire à l'université de Yale et est considéré comme un éminent spécialiste de l'Europe de l'Est.

Poutine ne peut effectivement rien espérer d'une attaque nucléaire. Sur le plan géopolitique, il risquerait de voir même ses principaux alliés, la Chine et l'Inde, lui tourner le dos. Déjà, lorsqu'il a été récemment question à l'ONU de reconnaître l'annexion par la Russie des territoires ukrainiens occupés, ces derniers n'ont plus joué le jeu.

Même avec l'utilisation d'armes nucléaires, Poutine ne peut plus vraiment éviter la défaite. La mise à feu d'une petite bombe atomique ne ferait même pas une différence décisive. «Il n'y a pas de rassemblement significatif de soldats ukrainiens ou d'équipement ukrainien pouvant être pris pour cible car l'Ukraine se bat de manière très décentralisée», comme le note Snyder.

D'un point de vue militaire, l'utilisation d'une telle bombe n'aurait en outre de sens que si des troupes russes bien protégées et équipées pouvaient ensuite immédiatement avancer dans la zone détruite. Actuellement, les soldats sont démoralisés et mal équipés. Ils ne peuvent donc pas le faire.

epa10248546 Rescuers and police officers work at the site of shelling in downtown Kyiv (Kiev), Ukraine, 17 October 2022, amid the Russian invasion. Several residential buildings were damaged as a resu ...
Des maisons en feu à Kiev. Poutine terrorise déjà la population civile.image: keystone

Depuis l'attaque du pont qui relie la Crimée à la Russie, Poutine, frustré, a de nouveau recours à la terreur contre la population civile. L'utilisation d'une bombe nucléaire contre une ville ukrainienne serait la terrible prolongation de cette terreur. Elle n'aurait, toutefois, aucun sens. De plus, les dirigeants de l'Ukraine ont souligné à plusieurs reprises que cela ne permettrait même pas de briser la résistance des soldats et de la population.

Enfin, il est quasiment certain que l'utilisation d'une arme nucléaire entraînerait une réaction violente de l'Otan. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, a déjà déclaré publiquement, il y a des semaines, que les Etats-Unis avaient fait comprendre aux Russes comment ils allaient réagir. Ce serait dévastateur pour les Russes. Et oui, ça non plus, ce n'est pas du bluff.

L'argument selon lequel un Poutine frustré déclencherait une fin du monde nucléaire selon la devise «Après moi le déluge» est peu probable. «Si la frustration de la défaite était un motif d'utilisation d'armes nucléaires, cela se serait déjà produit», explique Snyder:

«Or, ce n'est pas le cas. Il n'y a guère eu de chose plus humiliante que la défaite russe à Kiev»

Il se peut aussi que l'ennemi de Poutine ne soit bientôt plus à Kiev. Snyder évoque l'hypothèse selon laquelle le chef tchétchène Ramzan Kadyrov et Evgueni Prigojine, le chef de la troupe de mercenaires Wagner, envisagent un coup d'Etat.

Ramzan Kadyrovm doit «demander à Poutine avant de partir»
Le chef tchétchène Ramzan Kadyrov s'en prend aux généraux russes.image: keystone

Ils déclencheraient sciemment des hostilités contre le commandement militaire, mais ménageraient leurs propres hommes pour une prochaine lutte de pouvoir en politique intérieure, spécule Snyder.

Depuis que Poutine ne mène plus d'«opération militaire spéciale» télévisée, mais envoie des hommes russes dans la bataille, sa position au Kremlin vacille également et d'éventuels successeurs se mettent en place. Snyder conclut:

«Si ce scénario se réalise, Poutine n'aura même plus besoin d'un prétexte pour se retirer de l'Ukraine, il le fera pour sa propre survie politique.»

Pendant ce temps, Andriy Zagordodnyuk se montre sûr de sa victoire. L'ex-ministre de la Défense est convaincu que l'armée ukrainienne parviendra à chasser les Russes non seulement du Donbass, mais aussi de la Crimée. L'Occident ne doit donc en aucun cas se laisser intimider par le bluff nucléaire de Poutine, souligne-t-il. Au lieu de cela, il devrait fournir suffisamment d'armes à l'Ukraine. «Face aux revers qui s'accumulent, le moral des troupes russes s'effondrera et les soldats s'enfuiront chez eux», conclut Zagordodnyuk.

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