Mort de Nahel: c’est maintenant que tout commence. Tout? L’établissement des faits et si possible de la vérité. Les investigations sont en cours. Le quotidien Le Monde s’est procuré un réquisitoire du parquet général de Versailles daté du 5 juillet, qui synthétise les premiers éléments en possession des enquêteurs et dans lequel il est demandé le maintien en détention provisoire du brigadier auteur du coup de feu mortel (maintien confirmé, a-t-on appris jeudi matin). Voici la chronologie des événements, telle qu’elle apparaît pour l’heure:
Mardi 27 juin, vers 8 heures du matin: une course-poursuite s’engage avec une Mercedes de location, de type AMG, capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes. A son bord, Nahel M., le conducteur, 17 ans, et deux autres occupants.
Aux enquêteurs, Florian M., 38 ans, le brigadier mis en cause pour homicide, a dit avoir précédemment remarqué «une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus». C’est à ce moment-là que le binôme de motocyclistes de la police, dont le fonctionnaire aujourd’hui incriminé, entreprend d’intercepter le véhicule.
«Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté», rapporte Le Monde.
L’examen de la vidéosurveillance dit ceci, selon le parquet: la Mercedes a «failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté». La voiture aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
La Mercedes finit par s’immobiliser, bloquée par d’autres véhicules, à proximité de la place Nelson-Mandela. Les deux policiers se portent à la hauteur du véhicule, mettent leur moto sur béquille. Arme de service dégainée, visière de leur casque relevée, ils s’approchent de la voiture, se tenant à gauche de celle-ci.
Le Monde relate:
Une passante filme en vidéo la scène au cours de laquelle le brigadier tire une balle qui blesse mortellement Nahel M. L’exploitation de la séquence vidéo par l’IGPN confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade, rapporte le quotidien français. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent: «Au début de la séquence, d'après le réquisitoire, on entend un échange entre trois voix différentes (V1, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit:
V1: "… une balle dans la tête"
V2: "Coupe ! Coupe !"
V3: "Pousse-toi!"
V1: "Tu vas prendre une balle dans la tête" (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
V2: "Coupe!"»
Juste après la détonation, qui survient à 8h16, la vidéo enregistre cinq ou six coups de klaxon et un vrombissement de moteur.
D’après cette première analyse, il apparaît que c’est le gardien de la paix qui aurait crié à l’adresse de Nahel, «Tu vas prendre une balle dans la tête» et non pas le brigadier auteur du tir, lui-même démentant avoir tenu ces propos.
C’est sur la justification du tir qu’on relève des contradictions dans les déclarations. Ce que dit le réquisitoire du parquet, cité par Le Monde:
«Plus loin, ajoute le quotidien français, le document indique que le brigadier a assuré que "son objectif initial n’avait pas été de tirer". Il a toutefois précisé qu’il n’avait pas voulu "viser le haut du corps, mais le bas". Il a ensuite expliqué qu’au moment de faire usage de son arme "il avait été déstabilisé par l’accélération du véhicule" et que "celui-ci aurait pu le faire tomber entre le trottoir et la chaussée ou "embarquer" son collègue.»
«Pour justifier son tir, rapporte encore Le Monde, le policier a déclaré avoir pensé que le corps de son équipier était "engagé à l’intérieur de l’habitacle". Des déclarations contredites par son coéquipier, qui a précisé lors de ses auditions que seul son bras l’était.»
Un faux compte rendu policier a-t-il été établi dans les minutes qui ont suivi le coup de feu? A 8h22, une fiche établie par un opérateur de la police fait état de déclarations qui ne sont pas les mêmes que celles tenues par le brigadier sur le réseau radio des policiers de la circulation routière. Cette fiche dit, visiblement à tort: «Le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper» et que «le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire».
La situation était tendue lors de la sécurisation des lieux (après le coup de feu, la voiture a roulé sur quelques dizaines de mètres avant de s'encastrer contre un poteau, place Nelson Mandela). Des jeunes hostiles sont présents, ainsi que des proches de la victime, dont la grand-mère de Nahel M., qui aurait dit, selon des policiers:
De son côté, le quotidien Le Parisien a eu accès à un compte rendu des déclarations en garde à vue du brigadier auteur du coup de feu mortel. Ce sont là ses premiers propos, enregistrés le 27 juin, quelques heures après les faits.
«Le fonctionnaire (le brigadier Florian M.) explique d’emblée qu’il en est à "son neuvième jour de travail consécutif", rapporte Le Parisien. Au cours de cette première audition, «Florian M. assure s’être alors senti acculé, coincé entre le véhicule Mercedes et un muret situé dans son dos. Mais, selon ses explications, le danger était moins pour lui – il reconnaît n’avoir été "qu’un peu poussé" – que pour son collègue. Il justifie son tir, car pensant que ce dernier a toujours le corps dans l’habitacle de la Mercedes, il craint que l’adolescent ne "l’embarque" dans sa fuite.» L'article du Monde infirme la déclaration du brigadier: son coéquipier a précisé lors de ses auditions que seul son bras était engagé dans l'habitacle.