«Vous croyez que ça va péter plus tard? J'ai lu qu'ils en avaient interpellé, peut-être qu'il se passera rien», dit une adolescente à son groupe d'amis assis sur un banc lorsque je passe à côté d'eux en arrivant dans le coin. Je me pose la même question qu'eux.
Que se passera-t-il ce soir, au regard de ce qui a été annoncé sur les réseaux sociaux? De nouvelles émeutes, des pillages, de la casse, ou une histoire qui fait pschitt?
Le début de soirée est calme. Rien à voir avec les émeutes de samedi, que certains ont appelé à reproduire ce soir-là. On profite des terrasses qui sont, selon deux commerçants du Flon, aussi remplies que d'habitude. «C'est samedi que ça s'est vidé d'un coup après les échauffourées, mais ce soir, la clientèle est là», me raconte une commerçante. Tout a l'air normal. A part la présence policière, renforcée pour l'occasion. A pied, à vélo, en moto, en voiture, en fourgon.
Certains sont effectivement habillés comme lors de certains matchs de foot ou de hockey. Je joue au chat et à la souris avec eux, on se croise à une dizaine de reprises dans le quartier animé du centre-ville. Je tente un «toujours rien?», même si je sais qu'ils ne parleront pas. Ils me sourient, ils ne peuvent pas répondre à la presse. Je croise d'ailleurs des confrères, appareils photo en bandoulière, cartes de presse autour du cou. Journalistes, policiers, jeunes, moins jeunes, habitués des terrasses, curieux, tout le monde est là pour ces fameuses émeutes, sauf les émeutiers.
En plus des policiers, il y a des agents de sécurité qui essaient d'ouvrir les portes des établissements pour s'assurer qu'elles sont bien fermées. Les commerçants ont d'ailleurs reçu pour instruction d'être sur leurs gardes.
Elle n'est pas spécialement inquiète à cause de ces «émeutes en carton», mais elle m'explique tout de même que normalement, ce soir, elle n'aurait pas dû être là. Elle était présente, samedi, lorsque la Fnac et la boutique Pomp It Up ont été prises pour cibles. «C'était fou, il y avait des gamines de treize ans qui faisaient les belles, qui disaient "si un flic me touche, ça va trop mal se passer pour lui", comme si c'était ce qu'elles voulaient. Que ça dégénère.» Elle a toujours du mal à comprendre l'ambiance qui régnait samedi dans le festif quartier du Flon.
Deux autres commerçants me tiennent des propos similaires. «Des gosses qui s'ennuient, voilà. Certains n'ont même pas de mauvaises fréquentations, mais ils se laissent entraîner dans un effet de groupe. Ils ne se rendent pas compte qu'ils peuvent le payer cher, et longtemps», déplore l'un d'eux. Son collègue temporise. «J'ai aussi des enfants, dont un ado. On ne peut pas être sur son dos toute la journée. Malgré l'éducation qu'on essaie de leur donner, on ne peut pas les surveiller, les contrôler en permanence...» Les deux espèrent que la soirée de samedi n'était qu'un cas isolé.
S'il n'y a pas d'émeutes ce mardi soir, les clients des terrasses voient tout de même des policiers à l'œuvre. Trois d'entre eux fouillent les sacoches de deux jeunes hommes. Plus tard dans la soirée, on apprendra qu'une dizaine d'interpellations ont eu lieu dans des quartiers proches.
En arpentant les rues quadrillées du Flon, j'intercepte encore des conversations. Les passants sont décidément nombreux à commenter les émeutes du week-end dernier, et à rappeler que ce soir, de la casse était annoncée. Et tout comme les premiers jeunes que j'ai croisés en début de soirée, j'en entends d'autres se demander s'il «se passera encore quelque chose ou si c'est mort pour ce soir». Je penche pour la deuxième option.
En quittant le quartier, je vais embêter les policiers une dernière fois. «Vous serez de nouveau là demain soir?», je leur demande tout sourire, alors qu'ils sont quelques-uns assis dans une fourgonnette stationnée sous le Grand-Pont. Ils me sourient en retour. «On ne peut toujours rien vous dire, mais on vous offre de l'eau si ça vous dit.» C'est gentil, c'est vrai que ça m'a donné soif d'emmerder les commerçants avec mes questions. J'aurais voulu des infos, mais bon, pour ce soir, je vais me contenter de la bouteille.