La tension des premiers jours de guerre s'est dissipée chez Vladimir Poutine. Le chef du Kremlin reste cependant muet sur les dizaines de milliers de morts.
Depuis longtemps, l'homme de 71 ans a transformé son incursion dans le pays voisin en une guerre contre l'Occident et contre l'Otan. Avec sa «lutte contre l'ennemi extérieur», il a rallié de nombreux Russes à sa cause. Poutine, au pouvoir depuis près d'un quart de siècle, veut faire de 2024 l'année de son triomphe.
Une victoire pour lui serait, par exemple, que l'Ukraine renonce à adhérer à l'OTAN. Après de nombreuses défaites au cours de la première année de guerre, Poutine considère que son armée a repris l'initiative. Moscou annonce des conquêtes dans le Donbass, et se réjouit que l'aide de l'Occident continue de s'effriter et que l'Ukraine manque de soldats.
Il le clame haut et fort: les plans de l'Occident visant à infliger une défaite stratégique à la Russie ou à l'isoler sur la scène internationale ont échoué. Sûr de lui, le chef du Kremlin, auquel les critiques reprochent une orientation de plus en plus totalitaire, fait la promotion d'un nouvel ordre mondial qui, selon lui, est déjà en train de naître.
Poutine veut parvenir à un nouveau monde multipolaire - débarrassé de la suprématie des Etats-Unis. Sa propre liberté de déplacement est pourtant limitée, car la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre lui pour crimes de guerre en Ukraine. Mais le chef du Kremlin est perçu par de nombreux Russes comme le bâtisseur d'une nouvelle Russie forte, qui se suffit à elle-même.
Beaucoup d'experts occidentaux reconnaissent que Moscou a, jusqu'à présent, mieux résisté qu'attendu aux sanctions. Les mesures punitives devaient priver Poutine de la puissance économique nécessaire à l'invasion. Mais la Russie maintient son économie de guerre grâce aux recettes du commerce du pétrole et du gaz avec la Chine et l'Inde. De nombreux pays aident en outre la Russie à contourner les sanctions et à faire entrer dans le pays des marchandises convoitées.
La Russie peut se targuer d'une croissance économique de plus de 3% cette année. Même si les économistes soulignent qu'il ne s'agit que des résultats artificiels d'une économie de guerre lancée à pleine vitesse, Poutine peut annoncer des nouvelles positives à ses concitoyens. Les experts affirment toutefois que cette croissance n'est pas saine et rappellent que de nombreuses entreprises occidentales ont quitté le pays.
L'expert russe du think tank américain Carnegie, Andreï Kolesnikov, décrit une «stabilité fragile». D'après lui, le faible taux de chômage s'oppose à un manque extrême de main-d'œuvre qualifiée - de nombreux hommes doivent combattre à la guerre ou ont fui à l'étranger avec leur famille par crainte d'être envoyés au front.
Par ailleurs, les augmentations de salaire et de pension ont été absorbées par la hausse des prix de la vie, observe l'expert. De plus, comme de nombreuses marchandises doivent être achetées en devises occidentales, la valeur du rouble reste durablement faible. Le pouvoir d'achat est en baisse constante.
De nombreux Russes se plaignent de la pauvreté, de la peur et de l'absence de perspectives. Malgré tout, comme le montrent les sondages, la plupart des gens font confiance à Poutine pour résoudre les nombreux problèmes. Le président avait fait modifier la Constitution en 2020 afin de pouvoir continuer à se présenter aux élections. Son mandat est de six ans. Il pourrait se représenter encore une fois en 2030 - et gouverner jusqu'en 2036.
En tant qu'ancien agent des services secrets, Poutine est considéré comme un maître de la manipulation. Il ne manque pas une occasion de souligner que la Russie a renforcé ses forces de défenses, alors que l'«opération militaire spéciale» a révélé les faiblesses de l'armée russe.
Le taux d'approbation de Poutine est actuellement bien plus élevé qu'avant la guerre.
Pourtant, selon l'expert russe du think tank américain Carnegie, le chef du Kremlin aurait pu remporter les élections de 2024 même sans l'invasion en Ukraine.
Pour les élections présidentielles du 17 mars, personne ne semble menacer le chef du Kremlin. Le terrain politique est dégagé. Les véritables opposants ne sont même pas admis aux urnes. Alexeï Navalny en est le meilleur exemple. Poutine a fait enfermer son opposant le plus féroce dans le camp pénitentiaire «Loup polaire», tristement célèbre pour ses conditions de détention difficiles.
Pourtant, Navalny ne veut pas abandonner. Son équipe, qui s'attend à des fraudes électorales massives, a lancé la campagne «La Russie sans Poutine». L'objectif? Appeler les électeurs à voter pour n'importe quel candidat sauf Poutine.
Les chances de succès de cette campagne de protestation sont faibles. Au grand dam de nombreux Russes pro-occidentaux, le fondateur du parti d'opposition libéral Yabloko, Grigori Yavlinski, renonce à se présenter. Il est l'un des rares opposants de premier plan à être encore en liberté, à critiquer ouvertement la guerre de Poutine et à appeler à un cessez-le-feu en Ukraine.
«Il est inutile de faire de la figuration dans ce cirque», explique Grigori Yavlinski à propos de sa décision. Il continue:
Bien sûr, la lassitude de la guerre existe aussi en Russie. L'institut de sondage indépendant Lewada enregistre dans ses sondages la volonté croissante de négociations de paix. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour. La crainte est plutôt que Poutine - stimulé par un résultat élevé en mars prochain - augmente encore la pression contre l'Ukraine, notamment en déclenchant une mobilisation supplémentaire de soldats.
Les bilans sur le règne permanent de Poutine se sont multipliés - en août prochain, cela fera 25 ans qu'il a pris le pouvoir en Russie. L'opinion dominante est que Poutine, après une phase de faiblesse due aux défaites militaires en Ukraine, s'est ressaisi et a trouvé une nouvelle force.
Après l'échec du soulèvement de Wagner et l'accident d'avion ayant tué Prigojine, le calme est largement revenu dans le pays. La politologue Tatiana Stanovaya observe que Poutine n'a pas fait de grandes promesses lors de sa conférence de presse annuelle. Elle décrypte:
Un éditorialiste du «Wall Street Journal», dont le correspondant Evan Gershkovich est en détention préventive en Russie, a même récemment désigné «à contrecœur» Poutine comme le «vainqueur géopolitique» de l'année».
Traduit de l’allemand par Lara Lack