A la lecture du verdict, il a joint les mains et murmuré un «merci, merci». Avant de tomber à genoux, les avant-bras posés sur la chaise en cuir noir de la défense. Et de prier, tête baissée, les cheveux devenus blancs, symbole de ses dix mois de séjour en prison. Comme un halo. Un martyr.
Quelques instants plus tard, Sean «Diddy» Combs s'est levé, sous les yeux de l'assistance entassée dans la salle d'audience lambrissée 26A, sous les applaudissements de sa famille. Tonnerre d'acclamations, avalanche de baisers d'embrassades.
En écho à la joie de la salle d'audience, entre l'entrée du palais de justice de Worth Street et l'arrière du palais de justice du 60 Centre Street, une petite foule disparate a laissé exploser sa joie. Des cris «Libérez Puff! Libérez Puff! Libérez Puff!» retentissent dans l'air chaud, rapporte Vulture, pendant que des badauds lèvent le poing en signe de soutien.
Sean Combs a gagné.
La victoire est partielle, mais éclatante. Reconnu coupable de deux chefs d'accusation de prostitution, le magnat du rap dont on prédisait la chute a été acquitté pour trafic sexuel et racket, deux chefs qui auraient chacun pu lui valoir la réclusion à perpétuité.
Une victoire qui résulte d'un mélange d'erreurs fatales de l'accusation et de tactiques géniales de la défense. La première faute étant sans doute d'avoir voulu faire tomber Sean Combs à tout prix. Le dossier donnait parfois l'impression d'être monté à la va-vite. Une multitude de crimes d'Etat «disparates», rassemblés pour inculper le rappeur tout-puissant au niveau fédéral.
En choisissant de centrer l'accusation de trafic sexuel sur «seulement» deux victimes présumées, la chanteuse Cassie et «Jane», deux compagnes de longue date de Diddy, les procureurs fédéraux ont commis un second impair majeur.
A la barre, en larmes, Jane a confessé qu'elle aimait encore son ex-compagnon. Des dizaines de SMS présentés au jury ont laissé deviner des relations plus complexes qu'une simple obligation à participer aux «freak-offs», les marathons sexuels alimentés par la drogue initiés par Diddy.
Alors que le système judiciaire et la société commencent tout juste à avaler la pilule du mouvement #MeToo et à se faire une idée de la signification épineuse du consentement, la nature et la durée des liens de l'accusé avec ces femmes a complexifié la tâche des jurés.
Prouver la culpabilité de Diddy en matière de racket s'est également avéré un défi de taille pour les procureurs. Lesquels devaient démontrer que le rappeur avait convenu de commettre «au moins» deux crimes avec des complices bien informés, au sens mafieux du terme.
Autant de lacunes que la défense a exploitées avec brio et subtilité. Au fil des semaines, Diddy a été présenté par sa défense comme un homme accompli, mais imparfait, à la vie sexuelle atypique, sans être criminelle. Un homme prospère ciblé par des ex-femmes aigries et cupides. La victime innocente d'une «arnaque #MeToo» et de la hargne des forces de l'ordre.
Quand le public «rêvait» au début du procès d'un prédateur sexuel détraqué, voire d'un pédophile aux victimes innombrables, ces semaines l'ont dépeint, au mieux, comme un connard. Au pire, comme un petit ami violent, incontrôlable, malsain et jaloux, avec un penchant bizarre pour le lubrifiant et la drogue. Pas de quoi mériter la prison à vie, a tranché le jury.
Icône de la culture pop, figure incontournable des tabloïds, génie visionnaire ou encore Gatsby des temps modernes, jamais l'héritage de Diddy n'a été aussi menacé que ces derniers mois. Sa vie et sa carrière avaient pourtant été émaillées par de nombreux troubles judiciaires, au cours des trente dernières années.
Mais le procès intenté fin 2023 par son ex-compagne Cassie laissait penser que son image publique serait changée à jamais. Brisée.
Ces semaines de témoignages sinistres, brutaux, souvent écoeurants ont cependant échoué à ébranler durablement le trône de l'ancien roi du hip-hop.
L'issue aurait pu être différente avec une culpabilité totale. Ou si le procès était intervenu en 2017, en pleine déferlante du mouvement #MeToo, qui a emporté avec elle d'autres hommes puissants, comme Harvey Weinstein ou Jeffrey Epstein.
Sean Combs, lui, aura profité d'être jugé dans une relative indifférence. Ses crimes peut-être pas «à la hauteur» de ceux, plus terrifiants, qu'on attendait avec gourmandise.
Alors qu'il attend dans sa cellule d'être fixé sur sa peine, Sean Combs médite sans doute sur la suite à donner à son existence. Réconforté par la pensée qu'un jour, que ce soit dans 20 ou 5 ans, il sera libre de retourner à sa vie étincelante de luxe et d'excès. Ce qu'il décidera de faire de cette liberté, lui seul le sait. Un retrait discret de la vie publique? Un retour tonitruant à la lumière des projecteurs?
La culture populaire adore les martyrs et les histoires de comeback. Elle adore aussi les hommes résilients, les outsiders vengeurs et les bad boys. «Bad Boy for Life», chantait justement Diddy. Un hymne qui a contribué à son succès. Et continuera probablement de le faire.