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Pourquoi la Russie n'arrive pas à vaincre l'Ukraine en 6 points

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Pourquoi la Russie n'a pas encore gagné la guerre en Ukraine

La Russie voulait mener une guerre éclair en Ukraine, mais son plan a échoué.
La Russie voulait mener une guerre éclair en Ukraine, mais son plan a échoué.Image: keystone/watson
Une armée largement surestimée, confrontée à de graves problèmes logistiques, gangrénée par la corruption et commandée par un leader isolé qui vit dans le passé: voici quelques éléments qui expliquent l'échec russe en Ukraine.
18.03.2022, 15:4912.05.2023, 16:43
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Longuement annoncée par les Occidentaux, l'invasion russe de l'Ukraine a pris tout le monde de court. Elle semblait surtout gagnée d'avance. Comment les troupes ukrainiennes auraient-elles pu résister à la puissante armée de Moscou? Pourtant, après plus de trois semaines de combats, la situation est toute autre. Les choses s'éternisent, le Kremlin semble en difficulté. Une situation inattendue qui s'explique par de nombreux éléments. En voici quelques-uns.

L'échec de la guerre éclair

La première raison est d'ordre stratégique. Quand elle a lancé son offensive, le 24 février, la Russie comptait mener une guerre éclair: s'emparer de la capitale, Kiev, en quelques jours, renverser le gouvernement et prendre ensuite le contrôle du reste du pays, analysent des experts militaires interviewés par France 24.

L'objectif du Kremlin était notamment de mettre la main sur l'aéroport d'Hostomel, situé à proximité de Kiev, ce qui aurait permis d'acheminer blindés, troupes et matériel au pied de la capitale. Pour ce faire, dans les premières heures de l'attaque, l'armée russe a mené plusieurs frappes stratégiques censées mettre l'appareil militaire ukrainien hors d'état de nuire.

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Image: datawrapper/watson

Mais malgré l'effet de surprise, cela ne s'est pas produit. Après de violents combats, l'armée ukrainienne a repoussé l'attaque, forçant ainsi Moscou à repenser sa stratégie.

Les dangers de la guerre d'usure

Face à l'échec de son coup de main, l'armée russe s'est rabattue sur un plan B: assiéger la ville, l'encercler, la bombarder et l'attaquer quand elle sera relativement vidée de sa population, poursuit France24. La guerre éclair devient guerre d'usure. Ce qui implique toute une série de difficultés.

D'ordre militaire, tout d'abord. Comme l'écrit l'analyste et historien Max Boot dans le Washington Post:

«Démolir une ville avec de l'artillerie et des roquettes est facile. L'occuper est beaucoup plus difficile»

Se battre en zone urbaine n'est pas tâche aisée, l'architecture de la ville pouvant venir en aide aux assiégés. Les décombres créent des positions de combat pour les défenseurs et entravent les déplacements des véhicules blindés, poursuit l'expert.

La géographie particulière de Kiev rend les choses encore plus compliquées. Grande et tentaculaire, la ville est coupée par plusieurs cours d'eau, dont le Dniepr et ses affluents. Ce qui fait le jeu des défenseurs qui ont dynamité plusieurs ponts stratégiques pour entraver les forces russes. De plus, la capitale est entourée par de nombreuses rivières et tourbières, des terrains qui ne sont pas adaptés aux mouvements de troupes à grande échelle, explique à la BBC le général ukrainien Andriy Kryschenko.

Kiev n'est pas encore tombée. Les forces russes ont nettement progressé dans le sud et semblent avancer dans l'est. Pourtant, elles n'ont encore revendiqué la prise d'aucune grande ville. Selon le président ukrainien, Kiev garde encore le contrôle des zones clés du pays.

Une armée surestimée

L'évolution de la guerre révèle un autre élément. A la veille de l'invasion, peu d'observateurs auraient parié sur les forces ukrainiennes. Après coup, il semble pourtant que l'armée russe est moins performante qu'elle n'en avait l'air.

Elle est notamment confrontée à des problèmes logistiques considérables. Plusieurs rapports et témoignages font état de forces désorganisées, mal équipées et qui ont du mal à communiquer entre elles. La nourriture pour les troupes et le carburant viennent à manquer, poussant des unités à voler de l'essence dans les stations-service pour pouvoir avancer. D'autres abandonneraient leurs véhicules ou s'adonneraient même à des actes de sabotage.

Comment l'expliquer? Il s'agirait en partie d'une question de perception. Le jour précédant le début de l'invasion, le professeur de l'Université de New York, Mark Galeotti, écrivait sur Vox: «Le fait d'être considéré comme dangereux est un atout géopolitique plus puissant que de l'être réellement». Selon Galeotti, Poutine a laissé nourrir le flou concernant la puissance de son armée, en s'appuyant notamment sur ses succès en Syrie et en Crimée.

Problème: les récentes prouesses de Moscou ne sont pas représentatives de l'ensemble de ses forces, estime le professeur. Ces campagnes ont été menées par des unités d'élite, dans des contextes idéaux.

«C'est un peu comme supposer que vous pouvez juger de l'ensemble de l'éducation américaine en visitant Harvard»
Mark Galeotti, professeur

Dans les faits, les forces russes sont surdimensionnées et seulement partiellement réformées. Près de la moitié de ses soldats sont des conscrits qui ne servent qu'une seule année, au cours de laquelle ils ne seraient opérationnels que pendant quelques mois, admettent des officiers russes s'exprimant officieusement.

«En général, l’impression que de nombreuses troupes russes ne sont pas préparées à une guerre majeure se renforce chaque jour», résume le chercheur Niklas Masuhr, interviewé par le Temps.

Une résistance acharnée

De plus, les opérations en Syrie et en Crimée se sont déroulées sans un élément clé: un adversaire efficace. «Bombarder des rebelles désorganisés et dépourvus de toute défense aérienne n'est pas un vrai test pour l'armée russe», argumente Mark Galeotti.

La situation actuelle est radicalement différente. A la surprise de nombreux analystes militaires, les troupes ukrainiennes opposent une résistance plus forte que prévu, analyse le New York Times. Les troupes de Kiev se battent de manière particulièrement ingénieuse et créative, ce qui n'a pas manqué d'impressionner certains officiers américains.

Sur le terrain, les militaires ukrainiens exploitent leur connaissance du territoire pour contrecarrer les Russes. Ils peuvent également compter sur des armes modernes livrées par les Etats-Unis, dont les fameux lance-missiles portables Stinger et Javelin.

Il semblerait également que, après l'annexion de la Crimée, des agents de la CIA ont été dépêchés sur place pour former, en toute discrétion, les forces ukrainiennes à l'utilisation d'armes offensives. Un entraînement qui porterait aujourd'hui ses fruits, selon l'expert militaire américain Zach Dorfman qui cite plusieurs sources internes à l'agence. A noter que, officiellement, la mission de la CIA se limitait à recueillir des informations.

Le côté psychologique joue également un rôle. Malgré la (relative) supériorité militaire russe, Kiev dispose d'un avantage décisif sur le plan moral, estime Max Boot dans le Washington Post. Les Ukrainiens se battent pour repousser une invasion, ce qui a été récemment bien résumé par le président Volodymyr Zelensky:

«Nous défendons notre terre, nos enfants, nos familles»
Volodymyr Zelensky, président ukrainien

Cette détermination manque du côté de Moscou. Pire, selon les témoignages de plusieurs soldats russes capturés, certains d'entre eux n'ont pas été mis au courant de la situation et n'ont pas été informés qu'ils allaient être déployés au combat. D'autres auraient appris leur destination qu'en arrivant sur place.

Corruption au sein de l'Etat

Les difficultés rencontrées par les soldats russes sur le terrain ont des racines plus profondes et s'expliquent aussi par une autre raison: la corruption systémique qui gangrène le secteur de la défense, rapporte Politico. Cela serait à l'origine des problèmes logistiques qui affectent les troupes, mais pas seulement.

D'après l'analyse du média, la corruption a pénétré dans les plus hautes sphères de la politique russe et en modifierait le fonctionnement. Concrètement, les responsables corrompus évitent de formuler des conseils pouvant décevoir Poutine, pour éviter de perdre l'accès à leur style de vie luxueux.

Dans le cas de l'Ukraine, cela aurait signifié le risque de signaler au locataire du Kremlin que le pays qu'il voulait envahir se battrait et que les civils n'avaient pas hâte de rejoindre la Russie.

Une analyse partagée par l'ancien chef des services de renseignement suisses, Peter Regli. «Poutine a été mal orienté. Les services de renseignement russes ont fait un travail déplorable et semblent avoir peur de lui transmettre la vérité», affirmait-il dans nos colonnes.

On dit que le président russe n'aime pas entendre de mauvaises nouvelles, même s'il ne s'agit que de spéculations. Ce qui paraît plus sûr, c'est qu'il est incroyablement isolé, poursuit Regli. «Les services secrets étrangers ne cessent d'affirmer que le président russe décide seul».

L'isolement de Poutine

Cela nous amène au dernier point. L'isolement du locataire du Kremlin. «L'invasion russe a fait comprendre au monde que le régime de Poutine n'est en fait que Vladimir Poutine lui-même», écrit sur Slate Ben Judah, membre du think tank Atlantic Council.

D'après Judah, le chef d'Etat n'est plus entouré par d'autres personnes capables de «contrôler ses impulsions». Depuis quelques années, Poutine a liquidé les oligarques qui, d'après plusieurs analystes occidentaux, contrôlaient la Russie.

Poutine n'aime pas être contredit. Exemple en vidéo

Vidéo: watson

«Poutine est isolé et distant, même de la plupart de son ancien entourage», confirme dans une analyse publiée par le New York Times le journaliste indépendant russe Mikhail Zygar, auteur d'un livre sur le chef du Kremlin.

Le problème, ce n'est pas tant que le président russe décide seul, mais plutôt que celui-ci «s'est complètement désintéressé du présent», détaille Mikhail Zygar.

«L'économie, les questions sociales, la pandémie, tout ça l'ennuie. Poutine est obsédé par le passé»
Mikhail Zygar, journaliste indépendant

Dans son esprit, celui que Biden qualifie désormais de «criminel de guerre» se trouve dans une situation historique unique, dans laquelle il peut enfin se remettre des années d'humiliation et se venger de l'Occident qu'il considère comme faible. «Il semble qu'il n'y ait personne autour de lui pour lui dire le contraire», se désole le journaliste.

Tous les experts cités s'accordent néanmoins sur un point: l'armée russe reste une force considérable et ne doit pas être sous-estimée. Malgré les problèmes évoqués, l'Ukraine n'a pas encore gagné la guerre. Pour Moscou, la suite s'annonce pourtant compliquée.

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Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
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Guerre en Ukraine: un couple se marie en pleine guerre
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