«Monsieur Poutine, que faites-vous de votre temps libre?» La question, posée lors de la 15e session annuelle de la «Ligne directe» en 2017, a eu le mérite d'amuser le président russe. Sa réponse fleure bon le sarcasme:
L'«opération spéciale» en l'Ukraine n'est pas encore à l'ordre du jour, mais ses chefs de l'état-major sont déjà «tout le temps à ses côtés», «à quelques secondes de distance», confie leur patron dans une interview à la télévision russe. Poutine reconnait avoir déjà du mal à lâcher la bride, même si:
Entre deux séances sur son tatami, il admet au journaliste Pavel Zarubin que pour lui, le sport est indispensable «pour obtenir à la fois un déchargement intellectuel et une recharge d'énergie».
C'est connu: Vladimir Poutine est un boulimique d'activité physique. Hockey sur glace, judo, musculation, pêche, natation... Tous les prétextes sont bons pour mettre son corps à l'épreuve. Depuis qu'il se trouve à la tête de la Fédération de Russie, il a même fait de sa passion un élément de pouvoir, de contrôle de la population, de propagande à l’échelle nationale et internationale.
«Avant le 24 février, le sport constitue pour lui un moyen "d’exprimer son corps" vis-à-vis de sa population. Désormais, Poutine le pratique pour lui, de manière plus personnelle», explique Lukas Aubin à watson.
«Il s’entraînerait au moins quatre fois par semaine, si ce n’est plus», précise ce spécialiste de la Russie et de Poutine. «Il a même affirmé que si son emploi du temps le lui permettait, il s’entraînerait tous les jours.» Evidemment, ces affirmations sont à mettre en balance avec les nombreuses spéculations au sujet de son état de santé déclinant.
«Il faut se méfier des analyses à l’emporte-pièce qui tantôt l’enterrent, tantôt l’encensent. La santé de Poutine est un des secrets les mieux gardés de Russie», prévient Lukas Aubin.
«Sa curiosité et son engouement pour le sport extrême mettent dans l’embarras le Service de protection», admet le politologue russe Alexeï Moukhine à RBTH. Pas facile en effet d’assurer la sécurité d’un président qui se balade dans la taïga ou les coins les plus reculés de Russie pour se détendre.
Quoi qu'il en soit, le maître du Kremlin choisit lui-même sa façon de se reposer, et que ce n’est pas une mise en scène du Kremlin. «Personne n’aurait l’idée de le lui imposer», conclut Moukhine.
Si Poutine ne prend jamais de jour de congé complet, selon son attaché de presse Dmitri Peskov, il consacre son temps libre à sa passion pour le sport, mais aussi à ses relations.
L'un et l'autre ne sont pas inséparables: outre ses abdominaux, sa pratique sportive permet aussi à Vladimir Poutine d'entretenir son cercle de proches: oligarques, politiques, membres de «Russie unie» ayant prêté allégeance au régime de Poutine et ayant prouvé leur fidélité.
Lorsque ces individus ont montré patte blanche, ils peuvent être invités à avoir accès au «corps» du président. Le sport choisi dépend de sa proximité avec le président, explique Lukas Aubin. Dans son premier cercle, il joue volontiers au hockey ou au judo.
Mais aussi la pêche, où Poutine a emmené plusieurs fois avec son premier ministre, Dmitri Medvedev, et son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou.
Véritable poisson dans l'eau, il serait aussi friand des bains de contraste, très chauds et très froids. La résidence présidentielle est pourvue d'au moins trois bassins. L'un d'une température de 43 degrés, l'autre de 12.
Ce faisant, il se rapproche de sa population et donne l’exemple. «C’est le paradoxe: montrer qu’il est comme tout le monde, et en même temps, qu’il est au-dessus. Poutine est à la fois proche et très éloigné de son peuple», résume le chercheur à l'IRIS.
Si de nombreux leaders politiques n'ont jamais caché leur penchant pour l'alcool ou un bon cigare (on pense à Churchill, par exemple) pour se détendre, Poutine s'est toujours tenu à l'écart de ces paradis artificiels. Il boit peu et se restreint à un alcool «mondain» quand la situation «l’exige».
Poutine, ascète ou bon vivant? En tout cas, selon les médias russes, en termes gustatifs, il ne serait pas compliqué. Le président russe a lui-même plaisanté à plusieurs reprises en affirmant qu'il mange tout ce qu'on lui sert: «Pour être honnête, je n'ai pas beaucoup de temps pour manger... J'adore les légumes: tomates, concombres, la laitue», relaie la chaîne Tsargrad.
Autre spécialité culinaire insolite du maître du Kremlin? Un cocktail de betteraves de sa propre invention, assaisonnée avec du raifort.
On peut lire aussi qu'il apprécie de boire un verre de kéfir ou de yaourt avant d'aller se coucher. Ces produits se trouveraient constamment dans un réfrigérateur à sa disposition, pour qu'il se serve lui-même.
«Personne ne m'a prescrit de régime», affirme Poutine, balayant la légende selon laquelle il existerait un «régime du Kremlin». Toutefois, selon Tsargrad, avant d'atterrir dans la bouche du président, ses plats devraient passer au préalable par toute une batterie de tests, dans des scanners et appareils radiographiques. Les plats cuisinés seraient carrément livrés dans des thermos scellés.
Cette parfaite maîtrise de son corps et de son assiette est loin d'être anecdotique. Elle permet un message: à 70 ans, le président russe veut toujours apparaître en grande forme. «Ce qui, bien entendu, plait aux électeurs. Pourquoi pas ? Tout le monde veut avoir un président fort et en bonne santé», admet le politologue Dmitri Toultchinski à la radio russe Kommersant FM.
Poutine nourrit une obsession de la jeunesse éternelle, ajoute le chercheur Lukas Aubin. Cela expliquerait cette pratique sportive intensive, même dans ses moments de «relâchement», et cette volonté implacable de garder la ligne. «Comme il incarne, à travers son corps, la notion de Fédération de Russie, il refuse de vieillir. Evidemment, c'est une quête perdue d’avance.»