Les Jeux olympiques d'hiver de 2014, les championnats du monde de hockey sur glace de 2016 et la Coupe du monde de 2018 avaient un point commun: toutes les compétitions ont été organisées en Russie. La finale de la Ligue des champions 2022 et le championnat du monde de hockey sur glace 2023 auraient également dû avoir lieu en Russie si Vladimir Poutine n'avait pas envahi l'Ukraine en février 2022.
Le président russe a profité de ces événements pour donner au monde une image extrêmement positive de la Russie. En outre, en organisant avec succès ces événements sportifs mondiaux, le septuagénaire a démontré sa force et celle de son pays.
L'importance que peut revêtir le sport pour un pays et pour la fierté nationale peut également être observée en Europe lors de presque chaque grand tournoi de football. Les voitures et les maisons sont décorées de drapeaux, les victoires donnent lieu à des cortèges de voitures et les fan-zones sont remplies.
Pour les hommes politiques aussi, les grands événements sportifs sont une bonne occasion d'améliorer leur image. Les gens peuvent s'identifier à quelqu'un qui fait preuve d'émotion dans le sport, ils se sentent plus proches de lui.
Le succès de l'équipe nationale ou des sportifs peut donner un coup de fouet à toute une nation, comme on l'a vu en France après la Coupe du monde de 1998 ou 2018. En outre, les politiciens profitent volontiers de la période des grands tournois pour faire passer des changements de loi impopulaires, car ceux-ci sont généralement un peu moins médiatisés que d'habitude, en raison de la grande distraction que représente l'événement sportif.
Le président russe Vladimir Poutine maîtrise exceptionnellement bien l'art d'utiliser subtilement le sport pour sa propre propagande. Il l'a prouvé à maintes reprises au cours des dernières années.
A titre personnel, il aime se présenter comme particulièrement sportif et fort. Il s'est souvent montré torse nu lors d'activités diverses, comme l'équitation, le judo, la pêche, la natation, la chasse et la randonnée. Le symbole est clair: regardez comme je suis fort. La forme physique sert à Poutine à exprimer son pouvoir, il veut ainsi présenter la force avec laquelle il dirige son pays.
Les plus grandes passions sportives de Poutine sont le judo et le hockey sur glace. Il s'est également fait photographier en train de skier et de plonger. Il a commencé le judo dès son plus jeune âge. Il y a notamment noué des relations avec différentes personnes qui jouissent encore aujourd'hui de sa confiance: l'oligarque Arkadi Rotenberg et son frère Boris Rotenberg, ainsi que l'oligarque et négociant en matières premières Guennadi Timtchenko.
Poutine est ceinture noire de judo et a également reçu une ceinture noire honorifique de taekwondo, qui lui a toutefois été retirée par la Fédération mondiale de taekwondo en raison de la guerre en Ukraine. Sa deuxième grande passion est le hockey sur glace. Le président s'est lui-même retrouvé sur la glace à plusieurs reprises lors de matchs d'exhibition.
Outre ses propres activités sportives, Poutine accorde une grande importance à l'organisation de grands tournois. Pour les Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, il a dépensé entre 30 et 40 milliards d'euros. Les Jeux ont été un véritable succès pour la Russie: avec onze médailles d'or, neuf d'argent et neuf de bronze, le pays a pris la première place du tableau des médailles. Le scandale du dopage n'a éclaté que près d'un an plus tard.
Pendant les compétitions, Poutine a toujours fait acte de présence en portant un survêtement rouge, comme celui que portent les sportifs. Après le tournoi, il a déclaré sur le site officiel de la présidence russe:
Fait marquant: à la fin des Jeux d'hiver, la Russie a commencé à annexer la Crimée, ce qui a été le prélude à la guerre actuelle en Ukraine. Le taux d'approbation de Poutine en Russie a grimpé en flèche après le succès de ce grand événement et l'annexion de la Crimée.
Poutine a également su utiliser la Coupe du monde de football 2018 à son avantage. Dans l'ensemble, il s'est fait discret et n'a assisté qu'au match d'ouverture de l'équipe russe. Le Kremlin a souvent justifié son absence par le fait qu'il devait gouverner. Peu avant et pendant la Coupe du monde, le président russe a fait passer quelques modifications législatives qui auraient normalement fait plus de bruit. Il s'agissait notamment de l'augmentation de l'âge de la retraite (de huit ans pour les femmes, à 63 ans, et de cinq ans pour les hommes, à 65 ans) et de l'augmentation de la TVA de 18 à 20%.
Dans l'ensemble, la Coupe du monde s'est déroulée de manière presque idéale pour Poutine, l'équipe russe a su plaire et a même atteint les quarts de finale grâce à une victoire aux tirs au but contre l'Espagne en huitièmes de finale. Elle s'est ensuite inclinée contre la Croatie aux tirs au but.
Les hôtes avaient créé la surprise et même au-delà, le président russe a atteint les objectifs qu'il s'était fixés pour la Coupe du monde. Elle s'est déroulée en grande partie sans protestations ni débordements et était bien organisée. Les médias russes ont qualifié la Coupe du monde de «meilleure Coupe du monde de tous les temps.» Poutine lui-même était également très satisfait. Il a été cité ainsi sur le site officiel de la présidence russe:
Le président de la FIFA, Gianni Infantino, n'a pas non plus été avare de superlatifs. Le Valaisan de 52 ans a déclaré:
Même en période de guerre en Ukraine, que Poutine qualifie toujours d'«opération militaire spéciale», le président russe utilise le sport. Il s'affiche régulièrement avec de célèbres stars du sport de son pays pour montrer qu'elles le soutiennent et qu'elles approuvent sa démarche. Cela doit permettre une meilleure acceptation par la population.
Le symbole Z, qui symbolise le soutien à Poutine et à la guerre en Ukraine, est régulièrement montré par des sportifs ou formé par des équipes entières.
Yelena Issinbaeva est un cas particulier. Elle a été deux fois championne olympique de saut à la perche. L'ancienne athlète de haut niveau soutient Poutine et est membre du Comité international olympique (CIO). Les sportifs russes actifs sont parfois durement sanctionnés par des exclusions, mais elle peut continuer à faire partie du CIO. Elle a notamment été choisie pour faire partie des 75 personnes chargées de collaborer à la nouvelle constitution de Poutine pour la Russie.
Le cas de la réélection du fonctionnaire russe Arkadi Dvorkovitch à la tête de la Fédération internationale des échecs (Fide), en pleine guerre d'Ukraine, a également été significatif. Le Kremlin l'a immédiatement félicité et a interprété cette élection comme montrant que «la Russie n'est pas isolée dans le monde».
Dans un entretien avec le média allemand RND, le politologue Till Müller-Schoell de la Deutsche Sporthochschule de Cologne a expliqué comment Poutine utilisait les sportifs russes à son profit. Selon lui, le président profite de «leur popularité, de leur image positive et de leur dépendance tendancielle». Il a ajouté:
Le sociologue du sport Jan Haut, de l'université de Wuppertal, a en outre déclaré au RND:
Poutine maîtrise comme personne l'art de détourner le sport à ses fins. Parfois de manière active, comme en 2014 à Sotchi, et parfois de manière passive, comme en 2018 lors de la Coupe du monde.
Grâce à ses propres mises en scène sportives et au soutien d'athlètes à succès, le président russe parvient à utiliser le sport à son profit de telle sorte que l'image positive de la réussite sportive déteint sur lui. Les athlètes, quant à eux, dépendent du soutien de l'État et se laissent donc aller à la complicité avec Poutine, ou sont même proches de lui, comme Yelena Issinbaeva.
(traduction et adaptation par sas)