On attendait de lui qu'il donne de la voix au milieu du chaos républicain. Qu'il remette ses brebis fidèles sur le droit chemin. Qu'il mette fin aux scrutins aussi nombreux qu'infructueux. Bref: que Donald Trump soutienne officiellement la candidature de Kevin McCarthy et rappelle à l'ordre les vingt républicains à l'origine de l'impasse qui paralyse la Chambre des représentants depuis deux jours.
Mercredi, ce fut chose faite. Un message sur son réseau social Truth appelant à voter pour «Kevin»... qui n'a suscité qu'un vague haussement d'épaules collectif.
L'approbation du chef de fil des républicains ne compte plus. Même si les opposants virulents à Kevin McCarthy font partie des fidèles d'entre les fidèles. Certains comme Matt Gaetz, l'élu de Floride, avait fait de sa dévotion à l'ancien président une marque de fabrique politique.
Désormais, Matt Gaetz, Lauren Boebert et comparses, les «porte-flingues» de Trump, n'écoutent. Les «bébés Trump» ont dépassé le maître. Plus radicaux, plus durs, plus assoiffés que lui d’assécher le marais, de retourner la table, de déboulonner le système.
«En soutenant McCarthy, Trump s'est désavoué. Il leur a prouvé qu'il est entré dans le système», analyse Jean-Eric Branaa, fin spécialiste des Etats-Unis. Trump a abusé de son pouvoir au sein du parti à mi-mandat et cela lui a coûté. Au point de le faire basculer dans le camp des influenceurs politiques «traditionnels».
A l'exception de quelques derniers partisans, comme Marjorie Taylor Greene, «l'ombre de Trump» toujours fidèle au poste et à Mar-a-Lago, l'ancien président ne fait plus trembler. Ni vendre. Y compris dans ses comtés et circonscriptions les plus rouges vifs, les fameux «MAGA» («Make America Great Again»).
Depuis une annonce de candidature à la présidentielle 2024 en demi-teinte, il ne s’est rien passé. Pas un meeting. Pas un évènement. Son obsession pour sa défaite électorale l'a transformé en perdant éploré. «Trump appartient au passé», confirme Jean-Eric Branaa. «Il parle de lui-même, il se plaint beaucoup. Il est dans la victimisation.»
Tout le contraire du petit groupe de frondeurs du Sénat, qui a opté pour l'action et la guerre ouverte. Et, ce faisant, a plus de chance d'arriver à ses fins.
Entre les coups de fil à Trump et les avantages promis au Freedom Caucus, sur le papier, tout indique que Kevin McCarthy sera élu président du Congrès. CNN clame déjà sa victoire. Toutefois, rien n'est moins sûr pour l'apparachtick aux dents longues, qui se rêve Speaker de la Chambre depuis toujours. «Je crois qu’on va avoir une grosse surprise encore ce soir», glisse malicieusement Jean-Eric Branaa.
En 2015, le Freedom Caucus, la droite de la droite du parti républicain, avait déjà réussi à mettre en échec celui qu'il considère comme un faible, un «RINO», un républicain d'un jour.
«Les frondeurs ne vont pas renoncer. Ça ne colle pas avec leur radicalité.» Surtout pas au milieu de cette période politique où les radicaux ont appris, par principe, à ne jamais lâcher du lest.
D'autres candidats auront-ils plus de chance, comme Byron Donalds, inconnu au bataillon? «Aucune chance», juge l'expert de la politique américaine. «Il est juste un prête-nom pour faire la petite vendetta.»
Quelle que soit l'issue du scrutin, la suite n'est pas rassurante. Cette élection ratée laissera des traces. Et des divisions. Le Speaker n'a pas encore été choisi qu'il s'annonce déjà affaibli. Ces deux prochaines années promettent un «cirque», entre projets de lois fantaisistes au Sénat, demandes de destitutions à tout-va et commissions d’enquête qui ne mènent nulle part.
Qu'attendre pour Donald Trump? «Fleurs et couronnes», conclut Jean-Eric Branaa. «C’est ça le plus triste pour Trump: il parle, mais il ne se passe pas grand-chose». Même quand une élue républicaine propose l'idée fantasque - mais juridiquement possible - de faire de lui le nouveau Speaker, ça ne fait plus les gros titres.
Sans compter que la relève arrive. Jeune, cruelle, bruyante et ambitieuse. Le monde a les yeux rivés sur Ron DeSantis. Le gouverneur de Floride commence déjà à rassembler ces orphelins de Trump, qui considèrent que l'ancien président n’est plus que l’ombre de lui-même.
Pour l'instant, Ron DeSantis construit son personnage. Il parle aux frondeurs et se pose comme leur homme, un «barrage au wokisme» courageux et décidé. Les mêmes mots employés par Trump en 2016.
DeSantis prend son temps. Il a bien raison. C'est comme cela, qu’on grimpe en politique. «Mais quand il va se déclarer, il va s’envoler.» La preuve, il supplante déjà Trump dans les sondages.