On ne l'attendait pas si tôt. Depuis quelques jours, le clan MAGA vit une violente crise identitaire. Dans le ventre du mouvement de Donald Trump, deux symboles d'un même soutien au futur président des Etats-Unis se tirent la bourre. D'un côté, la classe ouvrière, majoritairement blanche et masculine. De l'autre, les magnats de la tech. Les pauvres et les riches. Les réactionnaires et les visionnaires. Le redneck du Midwest et Elon Musk.
Au centre, le patron, qui doit déjà ménager la chèvre et le chou, 20 jours avant son investiture et sous la menace musclée d'une tempête au Capitole.
La semaine dernière, Elon Musk et Vivek Ramaswamy ont décidé de défendre une certaine idée de l'immigration, qu'ils qualifient d'essentielle au succès des Etats-Unis: les ingénieurs et les petits génies, pêchés grâce au visa H-1B. En comparant l'engagement d'une main-d'œuvre étrangère haut de gamme au mercato des stars de la NBA, les deux patrons du futur «Département de l'efficacité gouvernementale» ont fâché le canal MAGA historique, persuadé d'avoir été copieusement insulté.
On peut entendre la grogne, sachant que le premier a traité les Américains de fainéants et que l'autre a cramé l'éducation des enfants au lance-flammes. De quoi froisser une bonne partie de l'électorat d'un Donald Trump qui s'est toujours gardé de juger (publiquement) les classes populaires. Plus sensible encore, la simple évocation d'une immigration choisie, au détriment du travailleur américain, vient brouiller le message du futur président, qui avait promis de dédier une bonne partie de sa sueur à l'expulsion des migrants illégaux.
Après les premières détonations, le patron de SpaceX a subi un violent retour de flamme. De l'ex-conseiller de Trump, Steve Bannon, à la complotiste Laura Loomer, de nombreux porte-voix d'extrême droite ne lui pardonnent pas sa bravade.
Cette guerre fratricide avait pourtant démarré en sourdine, lorsque Donald Trump a fait de Sriram Krishnan son conseiller principal sur l'IA. Certains se sont souvenus de sa grande amitié avec Elon Musk, mais surtout d'un tweet explosif, publié en novembre dernier: «Nous avons besoin des meilleurs, peu importe d'où ils viennent».
Le hic, c'est que l'extrême droite n'accorde pas davantage de crédit aux petits génies européens qu'aux Mexicains qui enjambent illégalement les frontières. Et cette base MAGA n'imagine pas une seconde assouplir son mantra America First. Qu'Elon Musk ait récemment appelé le parti républicain à se débarrasser des «racistes», ces «imbéciles méprisables», n'arrange pas les choses, sachant que l'homme le plus riche du monde a encore nourri la guerre ce week-end.
Alors que les puissants porte-voix des premiers supporters MAGA et les tech bros de Donald Trump continuent de s'écharper sur la plateforme d'Elon Musk, le 47e président a voulu jouer à l'arbitre. Dans une «interview exclusive» au New York Post, média de droite appartenant à Rupert Murdoch, le septuagénaire de Mar-a-Lago a donné raison à son nouveau meilleur ami, en rappelant qu'il a «de nombreux visas H-1B» qui travaillent sur ses propriétés: «Je suis un adepte du H-1B. Je l'ai utilisé à de nombreuses reprises. C'est un excellent programme», a-t-il déclaré, en oubliant de préciser, comme à son habitude, qu'il pensait le contraire par le passé.
Voilà pour les déclarations publiques. Mais la guerre semble aussi se jouer loin des micros, étant donné qu'Elon Musk a décidé, quelques heures après la réponse du patron, de subitement revoir sa copie, sans doute pour tenter d'éteindre le feu. Lui a-t-on demandé de verser de l'eau dans son vin?
Toujours est-il que, sur X, le bras de droit de Trump a admis que le programme H-1B était perfectible, notamment en «augmentant considérablement le salaire minimum et en ajoutant un coût annuel pour son maintien, ce qui rendrait l'embauche à l'étranger sensiblement plus coûteuse que dans le pays».
Le patron de SpaceX, qui n'a jamais attendu l'aval du tôlier pour s'exprimer sur l'avenir du pays, a prouvé une nouvelle fois qu'il se sent pousser des ailes. Trump, en se contentant de donner des points à Elon Musk, a pris le risque de décevoir sa base. Il n'a surtout pas encore trouvé comment gérer un bras droit sans doute plus solide que lui, à la fois Picsou et savant fou. On pourrait imaginer que ce premier coup de griffe dans le contrat MAGA va servir de leçon aux milliardaires qui ont aidé Donald Trump a s'emparer du pouvoir. Qu'il leur faudra désormais tenir compte des millions d'électeurs qui, eux aussi, lui ont permis de battre Kamala Harris le 5 novembre.
Or, ces dissensions ont tout pour se propager dans chaque recoin du mandat du 47e président des Etats-Unis. La colère des classes ouvrières, marchepied principal de l'élection de Donald Trump, part d'un sentiment d'abandon de la part des élites, supposément au service du grand capital. En donnant quasiment les doubles des clés à Elon Musk, le futur locataire de la Maison-Blanche est en train de fabriquer le tout premier oligarque américain. Un conflit d'intérêt qui ne va sans doute pas s'arrêter à l'immigration.
On l'a vu durant cette longue et éreintante campagne, une partie non négligeable du peuple américain a besoin de sécuriser son présent, alors que les dirigeants MAGA les plus bruyants se montrent obnubilés par l'avenir et sa guerre contre la Chine.
Si le nouveau président veut pouvoir rassurer les réactionnaires et ne pas effrayer les visionnaires, il va devoir agir avec doigté et par étape, au lieu de donner des points aux uns et aux autres une fois que le sang a coulé. Comme l'a écrit très justement David Brooks dans le New York Times, «c’est le genre de tension fondamentale que l’on rencontre au sein d’un parti lorsque l’on fait comme Donald Trump: prendre un parti capitaliste dynamique et libéral et l’imprégner d’une philosophie protectrice et rétrograde».
Sacré défi.