Elle est candidate en France sur la liste socialiste pour les élections européennes de juin. Il est porte-parole francophone de l’armée israélienne. Ils portent le même nom: Rafowicz. Il est son oncle, elle est sa nièce. Présidente des Jeunes Socialistes, petite-fille de Polonais victimes de pogroms, Emma Rafowicz fait l’objet depuis plusieurs semaines d’incessantes attaques antisémites sur les réseaux sociaux. La raison? Son patronyme et son lien de parenté avec Olivier Rafowicz, colonel de réserve dans Tsahal, dont l’intervention à Gaza aurait fait plus de 30 000 morts, en majorité des civils, selon un bilan fourni par le Hamas.
C’était deux jours après le 7 octobre. Munis de quelques numéros de téléphone, nous avions appelé en Israël pour obtenir des réactions au massacre du Hamas sans trop savoir qui allait répondre au bout de la ligne. «Bonjour, je suis le colonel Olivier Rafowicz, porte-parole de la défense israélienne pour la presse francophone.» Le colonel était clairement l’homme d’un camp et même d’une mission.
Il était et demeure représentatif, sans doute, d’une majorité d’Israéliens de droite comme de gauche qui considèrent que l’attaque terroriste du groupe armé islamiste a touché à l’existence d’Israël. Tout à sa mission, il s’était énervé au téléphone contre une journaliste de la RTS qui l’interrogeait dans l’émission Forum, sept jours après le 7 octobre. Il reprochait à la journaliste de «comparer» les bilans des morts, 1300 côté israélien, 1500 côté gazaoui, «comme si c’était pareil». Ce soir-là, Lausanne et Tel-Aviv n'avaient rien en commun.
Cinq mois ont passé. Le 22 mars, Libération publiait une interview d’Emma Rafowicz, la «nièce», cible d'injures antisémites. Elle y prenait clairement ses distances avec son oncle:
Le quotidien français listait une partie des insultes et menaces adressées à la jeune femme de 29 ans: «Hitler avait raison»; «salerass [sic] de youpins»; «la France est gangrenée par les punaises sionistes»; «Ils sont partout!!! A éradiquer ces punaises de lit»; «On n’oublie rien. On viendra vous chercher un par un»… «Beaucoup de messages, précisait Libération, font aussi référence à Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS, et fils d’André Glucksmann, orphelin de la Shoah: "Glucksmann, Rafowicz… c’est de la même graine".»
Dans l'entretien à Libération, Emma Rafowicz décrivait les profils des comptes haineux l’ayant prise pour cible. Des comptes assortis de drapeaux palestiniens, de triangles rouges ou encore de tortues, les deux derniers symboles signalant une appartenance à la gauche radicale, singulièrement celle de Jean-Luc Mélenchon:
Le leader des Insoumis était ici clairement visé.
Joint par watson, le président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF, proche du Parti socialiste), Samuel Lejoyeux, est tout aussi remonté contre Jean-Luc Mélenchon: «Il fait de tout juif français un ambassadeur d’Israël et de son gouvernement. Pour cette partie de la gauche, qu’on trouve principalement chez LFI, le juif est par principe un mauvais juif, sauf s’il prouve qu’il est un bon juif en attaquant frontalement Israël.»
Samuel Lejoyeux juge «grave», à ce propos, la présence de Rima Hassan – une jeune femme née en 1992 dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie – sur la liste LFI aux européennes. «Elle prône la fin d’Israël au profit d’un Etat binational, dont on peut penser, qu’à terme, il deviendrait palestinien.»
Rima Hassan a dénoncé sans ambiguïté les attaques antisémites contre Emma Rafowicz. Mais un point crucial oppose les deux jeunes femmes: la première souhaite la disparition d’Israël sous sa forme actuelle, la seconde plaide pour la solution à deux Etats, garante de la pérennité de l’Etat hébreu.
Dans Libération, Emma Rafowicz règle ses comptes avec les rouges-bruns, ce brouet où se retrouvent parfois l'extrême-gauche et l'extrême-droite:
Elle ajoute:
Tout est devenu totalement binaire, regrette Samuel Lejoyeux. «Simplement parce qu’on est juif et qu’on exprime un sentiment sur ce qui est arrivé le 7 octobre, on s’oppose à une fin de non-recevoir. C’est la négation de toute nuance. Chez les juifs de France, beaucoup ont de la famille vivant en Israël, beaucoup ont des connaissances qui étaient proches des victimes du 7 octobre. Il y a un attachement à Israël, mais il y a surtout un attachement aux gens qui y vivent et avec lesquels il y a des liens.»
Les Français juifs ne font pas exception, ils «s’engueulent» à table sur la situation au Proche-Orient.
Et l’«oncle», qu’en dit-il? Joint par téléphone, l’officier de réserve et porte-parole francophone de Tsahal Olivier Rafowicz n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Il nous dit quand même:
Le député LFI Thomas Portes fait la traque aux binationaux franco-israéliens combattant dans les rangs de Tsahal à Gaza – en novembre, 4000 Français étaient mobilisés dans les troupes israéliennes, sans être nécessairement déployés dans la bande de Gaza. Une pétition déposée mi-janvier sur le site de l’Assemblée nationale va jusqu’à demander «un suivi psychiatrique et un fichage S de l'intégralité de nos concitoyens partis combattre en Palestine au sein de Tsahal». Moins de 15 000 personnes l’ont signée.
L'anecdote suivante pourra peut-être permettre de comprendre l'une des raisons de l’engagement de Franco-Israéliens dans les forces israéliennes. Le 9 janvier 2015, deux jours après l’attentat à Charlie Hebdo, une prise d’otages de type djihadiste avait lieu dans un commerce juif parisien – l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Alors que le drame était en cours (il y aurait 4 morts, 5 avec le terroriste), une centaine de personnes étaient tenues à bonne distance derrière un cordon policier.
Un jeune homme d’origine maghrébine, vêtu d'un jogging et casquette sur la tête, cliché du «jeune de banlieue», imita alors avec sa bouche le son d’une rafale de mitraillette. Présents, des juifs ne firent aucune remarque. Mais l'un d’eux montra à votre serviteur une photo enregistrée dans son portable. On y voyait un jeune soldat en uniforme. L'homme dit:
C'est là l'une des dimensions d'un conflit qui a métastasé dans le sillon du postcolonialisme.