A combien s'élève le coût d'un vol en avion cauchemardesque? Peut-on mettre un prix sur la peur de sa mort imminente? C'est la question qu'un juge de l'Oregon va devoir trancher, après qu'un cabinet d'avocats ait intenté une action en justice contre le constructeur Boeing et Alaska Airlines, au nom de trois passagers qui se trouvaient à bord du vol 1282.
Nous sommes le 5 janvier 2024, il est un peu plus de 17h lorsque le Boeing 737 9 MAX décolle de Portland en direction de la Californie. Parmi les 174 passagers à bord: Kyle Rinker, 29 ans, et sa petite amie, Amanda Strickland, s'installent à la rangée 27. Le couple a déjà effectué ce trajet plusieurs fois. Un vol de routine. A côté d'eux, Kevin Kwok s'installe. Les co-passagers échangent un sourire poli de circonstance, puis chacun essaie de se détendre, avant d'attaquer les deux heures qui les séparent d'Ontario. Sauf que le vol qu'ils s'apprêtent à expérimenter ce jour-là va s'avérer, en fait, tout sauf routinier.
«Nous avons bien décollé et après seulement cinq minutes, nous avons entendu un bruit fort», se souvient Kyle auprès de la chaîne locale KGW. Un «pop!» retentit dans la cabine. Les masques à oxygène tombent. Un afflux d'air glacé s'engouffre dans la cabine. Le trio découvre avec effroi, à quelques mètres d'eux, qu'une des issues de secours a laissé place à un vide béant, dans la rangée 26, en diagonale. La chemise d'un adolescent de 15 ans, Jack, assis tout près, est aspirée par l'appel d'air.
L'incident s'achève sur un atterrissage d'urgence et le clouage au sol forcé de la flotte de 737 MAX 9 de Boeing aux Etats-Unis. Six passagers déplorent des blessures légères nécessitant des soins médicaux, notamment des «saignements d'oreille», selon CBS.
L'enquête révèle bientôt un «problème de pressurisation» dans l'avion et l'absence de boulons où les bouchons de porte se sont détachés. Un défaut de fabrication qui touche de nombreux autres appareils de la même gamme. Des inspections supplémentaires auraient dû être effectuées par Boeing avant la mise en service de l'avion.
Dans les 24 heures qui suivent l'incident, la compagnie Alaska Airlines, elle, s'acquitte d'une compensation auprès de ses 174 passagers forcément très marqués: un remboursement intégral du vol et, «en guise de geste de soins immédiat» un paiement en espèces de «1500 dollars pour couvrir toutes les dépenses accessoires», indique la compagnie aérienne dans un communiqué. Sans oublier «un accès 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à des ressources en santé mentale et à des séances de conseil».
Pour Kyle Rinker, Amanda Strickland et Kevin Kwok, le geste est loin d'être suffisant. Les trois passagers ont mis un prix sur leur traumatisme. Aujourd'hui, ils réclament des dommages-intérêts punitifs substantiels d'1 milliard de dollars pour ce qu'ils qualifient d'«incident évitable». Selon la plainte déposée, tous trois auraient «subi de graves blessures mentales, émotionnelles et psychologiques, y compris un stress post-traumatique, ainsi que des blessures physiques».
La plainte stipule encore la nécessité d'un procès pour obliger les deux sociétés, Boeing et Alaska Airlines, à donner la priorité à la sécurité plutôt qu'à la chance, après avoir ignoré des signes d'avertissement évidents. Le vol n'aurait jamais dû décoller.
Ce ne sont pas les premières poursuites avec lesquelles l'entreprise Boeing devra se dépatouiller dans les prochains mois. En janvier déjà, le constructeur a été poursuivi par des actionnaires pour les avoir «induits en erreur sur son engagement à fabriquer des avions sûrs».
En ce qui concerne Kyle Rinke et Amanda Strickland, l'expérience de ce vol cauchemardesque aurait laissé des traces. Selon Kyle, le seul bruit du passage d'un avion au-dessus de sa tête lui provoque des flashbacks. Et non, ils n'ont pas repris l’avion depuis:
Leur traumatisme vaut-il 1 milliard de dollars? La justice tranchera. (mbr)