Mardi, Xi Jinping a accompagné son homologue français Emmanuel Macron dans les Pyrénées, au col du Tourmalet. La montagne culmine à plus de 2000 mètres, il y a même encore un peu de neige. L'après-midi, les deux politiciens ont assisté à un spectacle de danse traditionnelle.
Un repas a ensuite été servi devant le panorama montagneux des Pyrénées. Les diplomates appellent cela la «partie personnelle» d'une visite d'Etat. Emmanuel Macron a souhaité créer ainsi un cadre intime pour construire des ponts politiques entre la Chine et l'Occident.
Ce plan a-t-il fonctionné? Le président français est-il parvenu à adoucir la position politique de Xi Jinping?
Dès le lendemain, de sérieux doutes planaient à ce sujet. Le premier jour de la tournée européenne de Xi Jinping semble n'avoir donné lieu à aucun rapprochement politique. Le président chinois s'est entêté à maintenir son cap économique et son soutien au chef du Kremlin Vladimir Poutine. Emmanuel Macron a toujours eu l'idée que ses relations personnelles pouvaient bousculer les structures, comme l'a déclaré Bertrand Badie, expert en relations internationales de Sciences Po Paris, sur France Info, à propos de la rencontre des présidents.
C'est le grand problème. La Chine se sent aux prises avec les Etats-Unis pour le statut de superpuissance dominante et n'a aucun intérêt à ce que l'Europe soit unie. C'est la raison pour laquelle Xi Jinping s'est rendu en Serbie après sa visite en France, puis en Hongrie – deux pays que les dirigeants chinois considèrent comme un point faible pour l'unité européenne.
Le ton du président chinois y était différent de celui qu'il a utilisé en France. Alors qu'il se promenait dans les montagnes avec Emmanuel Macron, le chef d'Etat chinois cachait déjà dans son manteau la hache qui doit diviser l'Europe.
En effet, Xi Jinping n'a pas seulement bien réfléchi au choix de ses destinations, mais aussi au moment où il s'y rend. Son arrivée en Serbie, mardi soir, coïncide avec le 25ᵉ anniversaire du bombardement par l'Otan de l'ambassade de Chine dans l'ex-Yougoslavie, le 7 mai 1999. Trois personnes ont été tuées lors de cette attaque mal calculée, imputée à une erreur de localisation de la CIA.
Pékin «ne permettra jamais qu'un tel incident se reproduise», a écrit Xi Jinping avant son arrivée à Belgrade dans une tribune publiée par le quotidien serbe Politika.
Le président chinois y a également fait l'éloge de «l'amitié inébranlable» entre la Chine et la Serbie, «forgée avec le sang de nos compatriotes».
Ainsi, alors que Xi vantait mardi encore les magnifiques relations sino-françaises, il écrit déjà dans un article un pacte de sang avec la Serbie contre l'Otan. Ces menaces sont surprenantes, car l'Otan n'est actuellement engagée dans aucune guerre. Des histoires comparables se répètent toutefois presque quotidiennement en Ukraine, provoquées par le partenaire stratégique de la Chine, Vladimir Poutine.
Le changement de ton lors de la tournée européenne du président chinois s'inscrit parfaitement dans la logique de Xi Jinping. La République populaire privilégie avant tout ses propres intérêts. En France, le président chinois a voulu désamorcer la tension afin d'éviter des sanctions occidentales ou des droits de douane punitifs contre la Chine. Ce faisant, Pékin ne veut, toutefois, pas s'engager dans des mesures politiques concrètes.
Mais il est également dans l'intérêt de la Chine que l'Europe ne se positionne pas de manière unie face à la Chine. C'est pourquoi Xi poursuit une stratégie de division et de domination sur le continent européen. Pékin utilise par exemple la dépendance de l'industrie automobile allemande vis-à-vis du marché chinois pour faire pression sur le gouvernement fédéral. Ces dépendances sont la hache que les dirigeants chinois utilisent pour diviser l'Europe.
En Serbie, la mise en œuvre de cette stratégie ne sera pas particulièrement difficile. Les dirigeants et la société serbes voient l'Otan d'un œil critique et sont favorables aux dirigeants russes et à Vladimir Poutine. De ce fait, la Serbie s'est de plus en plus isolée de ses voisins de l'Union européenne (UE) ainsi que des Balkans.
La Chine voit donc le pays comme une porte d'entrée vers l'Europe – et cette appréciation est tout à fait justifiée. Le président serbe Aleksandar Vucic est considéré comme un autocrate qui contrôle les médias et réprime les reportages critiques sur la Chine. Pour les dirigeants serbes, il s'agit, avant tout, d'argent. Selon le ministre serbe des Finances Sinisa Mali, les entretiens avec Xi portent sur un «grand projet»:
Alors que la Russie arme militairement la Serbie, la Chine investit des sommes importantes dans l'infrastructure serbe. Grâce à un important crédit chinois de 3,12 milliards de francs suisses, la Serbie construit 5000 kilomètres de canalisations et 159 stations d'épuration; jusqu'à présent, même la capitale Belgrade ne disposait pas d'un système de traitement des eaux usées. Les Chinois exploitent en outre plusieurs entreprises: une énorme aciérie au centre du pays, une fonderie et une mine de cuivre dans l'est et une usine de pneus dans le nord de la Serbie.
Cette stratégie n'est pas nouvelle: la Chine crée des dépendances économiques et se promet une loyauté politique: le contrôle par le commerce. Les Balkans ont été négligés par l'Union européenne pendant de nombreuses années et ce fait ouvre désormais des portes à la Chine. Si les investissements chinois entraînent une plus grande prospérité en Serbie, elle pourrait pousser d'autres pays des Balkans dans les bras de la République populaire: c'est du moins le calcul de Pékin.
Le plan de Xi Jinping semble fonctionner, en tout cas, en ce qui concerne la Serbie. Lors de sa visite dans la capitale serbe mercredi, on pouvait voir des drapeaux chinois partout. Aleksandar Vucic a réaffirmé dans une interview avant la visite:
La Serbie se place ainsi clairement derrière Xi Jinping dans le conflit géopolitique concernant la république insulaire. Cela montre à quel point le pays nage déjà dans le sillage de la Chine.
L'itinéraire du président chinois suggère en tout cas qu'il souhaite renforcer les alliances en Europe, dont il attend une valeur ajoutée. Alors qu'en Serbie, on s'insurge encore contre l'Otan, Xi Jinping se trouve maintenant en Hongrie.
Les relations sino-hongroises sont encore plus dangereuses pour l'Occident que l'influence chinoise sur la Serbie. Le premier ministre hongrois Viktor Orbán est considéré dans les milieux diplomatiques comme un ami de Pékin. La Hongrie est membre de l'Otan ainsi que de l'Union européenne, et Viktor Orbán a montré par le passé qu'il n'hésitait pas à bloquer des décisions.
C'est le pari de Pékin. Xi Jinping n'a pas besoin d'être en bons termes avec tous les Etats européens, il suffit, en termes de politique de pouvoir, d'en contrôler quelques-uns pour éviter des mesures à l'égard de la Chine. Viktor Orbán et la Hongrie pourraient ainsi devenir le cheval de Troie de Pékin en Occident.
Le dirigeant hongrois dirige son pays de manière autocratique, il s'est rendu en Chine en octobre 2023 pour le Forum des Nouvelles routes de la soie et n'a montré aucune réticence à rencontrer Xi Jinping et Vladimir Poutine – au contraire. Viktor Orbán cherche à se rapprocher de la Chine et de la Russie. C'est passé largement inaperçu aux yeux de l'opinion publique européenne, mais il a conclu en février un nouvel accord avec Pékin prévoyant une «coopération en matière de justice et de sécurité». De nombreux indices laissent penser que cela pourrait permettre aux forces de sécurité chinoises d'étendre leur surveillance en UE – depuis la Hongrie.
La Hongrie espère que cette orientation entraînera moins de résistance politique. Alors que l'UE a récemment gelé les subventions à la Hongrie, Pékin n'émet aucune réserve sur le fait que le chef de l'Etat hongrois continue de démanteler les structures démocratiques dans son pays. Mais Viktor Orbán s'intéresse aussi avant tout aux investissements chinois. La Chine prévoit ainsi des projets de plusieurs milliards en Hongrie, dont une ligne de chemin de fer, des usines pour l'industrie des voitures électriques et un campus de Fudan, l'université élitiste de Shanghai. Si des voitures électriques chinoises sont produites en Hongrie, le marché européen ne pourra plus être protégé par les droits de douane. Ce qui menacera surtout l'industrie allemande.
Au fond, la Chine noue des relations surtout avec de l'argent et ses bonnes paroles. Mais qu'il s'agisse de la France, de la Serbie ou de la Hongrie, la tournée européenne de Xi Jinping met en évidence quelque chose: la Chine a un cap clair pour gagner en influence sur le continent européen. Xi Jinping suit son plan scrupuleusement.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder