La justice américaine est en bon état. Et c'est sans doute la seule véritable bonne nouvelle qui s'échappe péniblement du verdict lâché jeudi soir, en plein cœur de Manhattan. Douze hommes et femmes, droits dans leurs bottes de jurés, ont fait leur travail.
Malgré la pression. Malgré le poids de l'histoire. Malgré les menaces. Malgré le profil hors norme de l'accusé. Malgré la présidentielle. Malgré un pays déchiré comme jamais. Malgré les simagrées d'un parti républicain qui n'est plus que l'ombre de lui-même, depuis qu'il a décidé de piétiner le droit, la morale, la démocratie et un gros morceau de sa majesté d'antan, en soutenant l'insoutenable.
Le 30 mai 2024 à 17h08, personne, pas même le 45e président, pas même le soi-disant martyr d'une certaine Amérique désenchantée, n'a été au-dessus des lois. Donald Trump est désormais un candidat pénalement coupable des 34 chefs d’accusation qui pesaient contre lui. Pour coller à la rhétorique du bonhomme: celui qui avait pour habitude «d'attraper les femmes par la chatte» s'est mangé un méchant coup de pied dans les roubignoles.
Car le milliardaire a beau brandir une machination démocrate et démoniaque qu'il a inventé sans aide extérieure, cette condamnation pénale est un vrai coup dur pour lui.
Alors qu'il suffisait d'un seul juré moyennement convaincu pour que tout le procès s'écroule comme un château de cartes, Donald Trump doit désormais composer avec une réalité incompressible: le candidat républicain à la présidentielle américaine, celui qui prétend pouvoir make America great again, est officiellement un criminel.
Hélas, si nous avons sans doute eu affaire au bon verdict, il n'a pas atterri dans le bon procès. Car Donald Trump, on le sait trop bien, n'est pas un politicien comme les autres. C'est le seul candidat à s'être octroyé la légitimité de ne pas abandonner la course à la présidence, sous prétexte d'un jugement en salle d'audience. Un tour de force qui n’a été possible qu’en manipulant les foules.
Ses foules.
La falsification de documents comptables, mêlée à une affaire de mœurs, n'aura jamais les muscles nécessaires pour ébranler les sondages de manière significative. Pour dégonfler sa détermination à sauver ses propres fesses. La justice étant beaucoup plus lente à se déployer qu'une invasion du Capitole, aucune autre déconvenue judiciaire ne risque de venir perturber sa marche vengeresse et colérique vers la Maison-Blanche. Enfin, jusqu'au 5 novembre. Si Joe Biden considère ce verdict comme une victoire, il sait mieux que personne que «tout se jouera dans les urnes».
C'est d'ailleurs cette vieille et vénérable Constitution qui permet aujourd'hui à un criminel de briguer une deuxième fois le Bureau ovale. A un puissant citoyen qui a tenté de saboter des élections de pouvoir lever des fonds et inciter le peuple à lui (re)donner les pleins pouvoirs. Les Américains et le reste du monde devront attacher leurs ceintures, parce que ça va secouer.
C'est bête à dire, mais Donald Trump a désormais tout à gagner. Et les Etats-Unis tout à perdre. Oui, il y a un avant et un après 30 mai 2024. Si le milliardaire n'est pas élu président le 5 novembre prochain, c'en est terminé pour lui. Pour de bon. Les cinq prochains mois, ce n'est donc pas tant une course au siège suprême qui se joue. Mais la survie d'un homme de 77 ans sincèrement aux abois et l'avenir de la plus grande puissance mondiale à court terme.
Si le clan démocrate compte plus que jamais sur la jugeote des indécis et des modérés pour prendre conscience qu'un criminel n'a rien à faire à Washington, Joe Biden n'aura pas d'autre choix que de marcher sur des œufs. Tout en restant audible. Chaud. Car, face à lui, un monstre sans peur, mais bourré de reproches, qui compte bien tout démanteler sur son passage. En 2016, l'Amérique avait affaire à un milliardaire populaire, doublé d'un clown télévisuel très soucieux de son image.
Huit ans plus tard, Donald Trump peut se contenter de lustrer la même réputation qu'un mafieux. C'est beaucoup plus léger à manœuvrer et les têtes peuvent commencer à tomber. Après les craintes, place au chaos. Au bout du chemin, des urnes qui ressemblent déjà à un drôle de tribunal. Avec des millions d'électeurs projetés dans la peau du plus grand jury que les Etats-Unis auront jamais connu.