Les propos d'Emmanuel Macron, mercredi soir dans C à vous, ont fait jaser. Invité par France 5, le président français s'est exprimé sur de nombreux sujets polémiques, comme la loi immigration qui déchire la classe politique. Il s'est aussi aventuré en terrain miné sur l'affaire Depardieu.
Aujourd'hui, à moins d'avoir coupé internet, même celles et ceux qui n'ont pas vu l'émission de France 5 n'ont pas pu échapper aux extraits concernant les propos du président sur Depardieu. Des extraits dans lesquels Emmanuel Macron salue le génie de l'acteur, au cœur d'un scandale suite à la diffusion d'un Complément d'Enquête.
Pour rappel, dans le Complément d'Enquête consacré à l'acteur français diffusé la semaine dernière, on peut notamment voir Gérard Depardieu visitant un haras en Corée du Nord et déclarer: «Les femmes adorent faire du cheval. Elles ont le clito qui frotte sur le pommeau de la selle, elles jouissent énormément. [...] C’est des grosses salopes, ça. [...] Si jamais il galope, elle jouit.» Et d'aller encore plus loin à propos d'une enfant d'une dizaine d'années en disant: «C'est bien ma fifille, continue! Tu vois, elle se gratte, là».
Sur le plateau de C à vous, Emmanuel Macron a été lancé sur le sujet par la présentatrice Anne-Élisabeth Lemoine qui lui a demandé:
C'est là que le président a choisi de répondre à Anne-Élisabeth Lemoine avec sa tirade plutôt flatteuse sur l'acteur. «Après, il y a parfois des emballements sur des propos tenus...», a-t-il poursuivi.
Non, Monsieur le Président. Personne ne s'est «emballé» sur les propos de Gérard Depardieu suite à la diffusion de Complément d'Enquête. Car on ne sexualise pas une enfant qui fait du cheval. On ne traite pas les femmes de grosses salopes. Nous, téléspectateurs outrés par les propos de l'acteur, ne nous sommes pas «emballés».
Certes, condamner «le tribunal public» comme vous le faites, c'est une attitude plutôt louable, et c'est ce qu'on attend généralement d'un président. «Je déteste les chasses à l'homme», assénez-vous. Comme vous le dites, d'ailleurs, il y a une justice, et elle tranchera.
Mais ne mélangez pas tout. Car il y a deux choses différentes à prendre en compte: il y a les plaintes pour agressions sexuelles et viols qui visent Depardieu, pour lesquelles il sera jugé. Et il y a les propos tenus face caméra par l'acteur. Vous déclarez, Monsieur le Président, qu'il a droit à la présomption d'innocence. Certes, dans le cas des plaintes, il y a droit, et c'est à ça que sert la justice.
Mais quand Gérard Depardieu, ce «génie de son art», comme vous l'appelez, déclare en sachant pertinemment être filmé que les femmes sont des grosses salopes, qu'elles ont le clito qui frottent sur le pommeau, qu'une femme jouit si le cheval galope et qu'il balance un «c'est bien ma fifille» à une gamine de dix ans, il n'y a pas de doute possible. Gérard Depardieu a bel et bien tenu ces propos, ce qui ne vous empêche pas d'assurer qu'il «il rend fière la France». On croit rêver.
Anne-Élisabeth Lemoine vous lance aussi: «Votre ministre de la Culture s'est avancée [réd: en annonçant une procédure disciplinaire pour retirer la Légion d'honneur à Depardieu]?». Ce à quoi vous répondez d'un ton cinglant:
Vous enchaînez en déclarant que vous êtes inattaquable sur la lutte contre les agressions et violences faites aux femmes et sur la lutte pour l'égalité femmes-hommes. «Ce sont les deux grandes causes de mes deux quinquennat», assurez-vous. Sachez que, chez beaucoup d'entre nous, ce n'est pas le sentiment qui prédomine aujourd'hui.
En tant que grand maître de la Légion d'honneur, «qui n'est pas là pour faire la morale», vous dites que vous ne voulez pas retirer ce titre à un artiste sur la base d'un reportage, «sans qu'il n'ait la possibilité de se défendre. À côté de ça, il y a des procédures judiciaires». Vous avez parfaitement raison de rappeler encore une fois ce dernier point.
Mais puisqu'on parle, dans ce passage de l'émission, de retirer ou non la Légion d'honneur à l'acteur, jetons un œil dans le rétro. Elle a été retirée à Lance Armstrong, en 2014, pour «comportement contraire à l'honneur» après avoir reconnu s'être dopé. Idem pour le styliste John Galliano, en 2012, à la suite de sa condamnation en 2011 pour injures racistes et antisémites. Les propos de Depardieu ne sont-ils pas justement des injures envers les femmes?
Mais au fond, ce qui choque le plus, Monsieur le Président, ce n'est pas tant votre besoin irrépressible de condamner le «tribunal public». Ou la «chasse à l'homme». Ni même votre volonté d'attendre que justice soit rendue et qu'un tribunal tranche sur les affaires d'agressions et de viols pour savoir si oui ou non il faut lui retirer ce titre. Un titre qui a de toute façon été parfois, selon toute vraisemblance, distribué en jouant à plouf-plouf-plouf (on salue, entre autres cas qui prêtent à un haussement de sourcil, Jeff Bezos, patron d'Amazon et champion de l'optimisation fiscale, à qui vous avez remis la jolie médaille en février dernier).
En fait, Monsieur le Président, ce qu'on vous reproche aujourd'hui, ce sont vos propos hors-sol. Vous auriez dû vous abstenir d'encenser Gérard Depardieu, aussi talentueux soit-il dans son métier d'acteur, alors qu'il y a tout juste une semaine, ce même Depardieu traitait les femmes de grosses salopes devant la France entière et par-delà ses frontières.
Et puis, vous auriez pu avoir un mot pour les femmes, pour les «grosses salopes». Pas uniquement en déclarant que vous êtes «inattaquable» sur les luttes pour les femmes. Là, particulièrement, il n'était pas question de vous et de vos projets politiques. C'est peut-être justement là où vous êtes le plus attaquable aujourd'hui. Pour avoir défendu la carrière de l'acteur, cet homme qui «rend fière la France». Monsieur le Président, on s'en fout, de la filmographie de Depardieu. Hier soir, sur France 5, ce sont les «grosses salopes» qui méritaient d'être défendues.