Make Nicolas Great Again
Ce qui s’est passé mardi matin, à Paris, est extraordinaire. Au sens propre. Assister en direct à l’emprisonnement d’un ancien président d’un Etat démocratique européen est un événement. Hors normes, inédit, impressionnant. Que l’on soit du camp de la colère, de la pâmoison, de l’indifférence molle ou de la farouche opposition, un ancien locataire de l’Elysée qui se retrouve derrière les barreaux de la Santé a déjà sa place dans la tumultueuse Histoire de France.
Nico le Tout-Puissant ou le freluquet à talonnettes. Le mari de la chanteuse has-been. Le «casse-toi pauv’ con» d’une droite d’antan qui lui témoignera un indéfectible respect jusqu’à sa mort. Le discret consultant VIP, depuis 2012, d’une large cargaison de sociétés cotées en bourse.
Le symbole, aussi, d’une caste considérée par beaucoup comme intouchable, s’abreuvant aux robinets de la République, sans la moindre intention de rafistoler les tuyaux d’un pays qui fuyait déjà de toute part, bien avant qu’il ne refourgue la boîte à outils à Hollande et que l’Assemblée nationale ne se trumpise à vitesse grand V.
Intouchable, Nicolas Sarkozy, 70 balais, ne l’est plus. Du moins, formellement. Mardi soir, l’accro au footing matinal dormira en prison. Que l’on considère cela comme la chute méritée d’une crapule condamnée ou, au contraire, le premier jour de la nouvelle vie d’un martyr terrassé par une justice vengeresse, l’incarcération de la mascotte de la génération Fouquet’s n’est déjà plus (qu’)une affaire de justice.
Depuis le verdict et sa condamnation pour association de malfaiteurs dans le procès libyen, on se surprend à replonger dans les derniers mois d’une campagne présidentielle américaine émaillée d’allers-retours au tribunal. Nicolas Sarkozy partage avec Donald Trump une increvable combativité, l’art de la mise en scène et la négation du travail d’une justice qu’ils ont pourtant tous deux rêvé sévère.
Le contexte et ses conséquences, aussi. De part et d’autre, des juges menacés de mort, des apôtres aveuglés, une tendance très à la mode de voir des chasses aux sorcières partout.
Les deux hommes se meuvent aussi dans cette même vision cinématographique du clan familial, uni dans une espèce d’hypocrisie tragicomique en titane. Une épouse planquée sous des verres opaques et vaguement dans le show-business. Une descendance aussi fidèle que démonstrative, aussi protectrice qu’intéressée.
L’un, alors ministre de l’Intérieur, voulait «nettoyer les banlieues au Kärcher». L’autre est en train de décaper ses grandes villes avec l’armée. Une même vision d’une droite et d’un verbe durs. Nicolas Sarkozy et Donald Trump n’ont surtout jamais perdu de leur lourde influence dans le monde politico-financier. Des regards et des jugements qui leur glissent sur le cuir. Ils manipulent la morale avec la souplesse d’un gamin qui joue avec sa pâte à slime.
Des bêtes de scène qui, comme des chats, semblent pouvoir éternellement retomber sur leurs pattes.
Pour réussir cette prouesse, il faut un superpouvoir en particulier: se penser au-dessus des lois, mais savoir s’en servir les doigts collants de vanité. Même si l’un a réchappé (pour l’heure) à la prison, l’autre n’a pas eu droit à la résurrection politique post-tentative d’assassinat. C’est sans doute pour toutes ces raisons que les premières nuits en prison de l’ancien président de la République ne vont pas rassasier grand-chose.
Hormis lui-même.
Peut-être bien qu’il va un peu «en chier», comme on a pu l’entendre au détour d’un podcast quelconque sur Instagram. Or, non seulement il ne va pas moisir en taule, mais d’avocat au Barreau de Paris à bagnard de luxe derrière les barreaux de la Santé, Nicolas Sarkozy a toujours su faire fructifier la croix et la bannière. Pour sûr que le contrat d’édition est déjà signé, que les dernières pages de son énième «me, myself and I» littéraire s’écriront entre la corvée et la promenade et que le bouquin finira par sortir en même temps que lui.
Manquera encore le coup de fil de Netflix.
De cette étrange épopée politico-judiciaire d’un boomeur bien loti ne restera sans doute qu’une large amertume au fond de la gorge de beaucoup de parties prenantes, de citoyens, de détracteurs et d’observateurs. Un sentiment d’inachevé, même au bout d’une procédure courageuse et, surtout, inédite.
Pour digérer ce formidable bordel à la française, il serait judicieux de retrouver fissa un semblant de gouvernement et, dans la foulée, tous les joyaux de la Couronne dérobés honteusement au Louvre en début de semaine. Pour dire, même une Coupe du monde chez Trump en 2026 fera l’affaire. Tant que la France s’échappe (un peu) de cet état (intenable) de stupéfaction générale.