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Quand on s'attaque à la fiction, c'est le début du totalitarisme

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Quand on s'attaque à la fiction, c'est le début du totalitarisme

Aux Pays-Bas, une traduction de «La Divine Comédie» de Dante ne comporte pas le nom de «Mahomet» parce qu'il se retrouve en Enfer et que l'islam serait ainsi stigmatisé. Focus sur la cancel culture et son danger.
31.03.2021, 19:2104.04.2021, 13:26
Jonas Follonier
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La Divine Comédie, chef-d'œuvre de Dante Alighieri, est l'une des nouvelles victimes de la cancel culture. Les tenants de cette idéologie américaine, de plus en plus présente en Europe également, souhaitent éliminer les traces du passé qui ne colleraient pas avec les valeurs d'aujourd'hui. Souvent, ils se revendiquent aussi du mouvement woke (littéralement «éveillé») selon lequel la société occidentale est structurellement raciste, sexiste et (néo)coloniale.

Les fameux déboulonnages et peinturlurages de statues réalisés à Bruxelles (statue du roi Léopold II, parce qu'il avait colonisé le Congo), à Londres (statue de Winston Churchill, parce qu'il était «raciste»...) ou encore, plus près de chez nous, à Neuchâtel (statue du biologiste David de Pury, parce qu'il était esclavagiste), sont de parfaits exemples récents de cette mouvance. Toute référence visible à un passé jugé immoral doit être bannie d'après ce nouveau militantisme.

De l'annulation du passé à l'annulation de la fiction

Beaucoup reprochent aux adeptes du woke et de la cancel culture de jouer aux apprentis sorciers. Les adversaires de cette culture de l'annulation craignent en effet que jeter des parcelles entières de notre histoire aux oubliettes n'aide pas à pouvoir justement développer un regard critique sur ces mêmes parcelles d'histoire. Vouloir «nettoyer une partie du passé», c'est vouloir anéantir une partie du réel.

Mais on n'en est déjà plus là. C'est désormais à des œuvres, à des personnages, à la fiction, à l'art, à la culture en réalité que la cancel culture, qui porte bien son nom, s'attaque. Après s'en être pris au réel, elle s'en prend à l'irréel en faisant la police dans l'imagination humaine.

Dernier épisode en date, cette traductrice néerlandaise qui a choisi de ne pas laisser le nom de «Mahomet» dans la Divine Comédie de Dante, de commun accord avec l'éditeur. La raison? Le fait que Mahomet, dans cette œuvre, se retrouve en Enfer avec les âmes damnées pourrait choquer certains lecteurs musulmans...

L'art et l'ironie mis à mal

Que certains artistes s'autocensurent sur certains sujets, c'est encore compréhensible, vu le climat actuel de susceptibilité et de chasse à la moindre atteinte à des communautés. Mais qu'on censure des artistes disparus, par ailleurs cultes, et en plus pour de mauvaises raisons, voilà qu'on marche sur la tête. Quel lien peut-il bien y avoir entre les émotions de l'islam contemporain et le voyage fictif décrit par Dante au début du 14e siècle dans son œuvre de maître – d'autant que l'auteur voulait y dénoncer ceux qui voulaient diviser les musulmans?

Il y a deux semaines, la polémique entourant le sketch de l'actrice romande Claude-Inga Barbey a fait état d'un même danger. En effet, des collectifs de défense des minorités ont demandé de retirer la vidéo hébergée par Le Temps, considérant un des personnages joué par la comédienne comme hostile aux personnes trans. Mais c'est en fait pire, car l'amalgame a été fait entre ce personnage et sa créatrice, du moins entre le personnage et le sketch, puisqu'ils l'ont décrit dans son entier comme étant «transphobe».

Et cela fait encore plus mal au bon sens de se dire qu'on a voulu censurer cette capsule alors que Claude-Inga Barbey s'y moque de son personnage de psy qui ne comprend rien aux revendications du personnage trans.

Comme un parfum fasciste

Ce qui est frappant, c'est que dans ces affaires, c'est l'essence même de la fiction, de l'ironie et du jeu de rôle (qu'il soit drôle ou pas) qui est attaquée. Voilà qui fait peur, quand on pense que ce genre de pratiques – les contrôles des artistes pour des raisons politiques – remontent aux dictatures du 20e siècle.

D'autres actualités, comme la réécriture du titre du roman d'Agatha Christie Dix Petits Nègres en Ils étaient dix, ou le retrait de traducteurs blancs pour le poème d'Amanda Gorman parce qu'il faudrait être, comme elle, une jeune femme noire, nous invitent également à tirer la sonnette d'alarme. Il y a comme un parfum d'autodafé dans l'air. Ceux qui ont (vraiment) lu Orwell le savent.

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