Mon titre vous choque? Ce sont pourtant les propres mots de Milly. Si elle a trouvé le courage de partager avec nous l'horreur de ce qu'elle a vécu, vous devriez trouver celui de lire son témoignage sordide.
La jeune femme a 18 ans en mars 2020, lorsqu'elle se rend en vacances dans la région parisienne avec des amis. Des amis qui l'abandonneront au milieu d'une cité à la nuit tombée. Elle s'y fera violer par plusieurs hommes dans un local à poubelles.
Aujourd'hui âgée de 23 ans, elle a livré un témoignage glaçant et à visage découvert au journal Le Monde. Le récit de Milly, de cette nuit d'une horreur inqualifiable, et de sa vie «après», fait mal au ventre à lire.
Comme l'explique le média français, à l'origine, c'est Sandra, la mère de la jeune femme, qui doit être interviewée. Pour décrire son combat, celui qu'elle mène depuis plus de quatre ans, pour «maintenir sa fille en vie». Milly s'est mêlée à la discussion, puis a fini par se décider à raconter elle-même son histoire. Les deux femmes ont, comme le souligne Le Monde, «pris cette décision rare: témoigner avec leur vrai prénom et accepter les photos à visage découvert».
Gisele Pelicot comme Milly sont le courage même pour que la honte et la peur changent de camp.
— Astrid Panosyan-Bouvet (@AstridPanosyan) October 14, 2024
Cette enquête par Lorraine de Foucher du Monde est aussi edifiante que celle qu’elle avait écrite sur Mazan il y a plus d’un an. Merci à elle pour son travail. https://t.co/ZFKMks3ZgI
Une décision qui rappelle celle de Gisèle Pelicot de demander la levée du huis clos pour le désormais tristement célèbre «procès des viols de Mazan».
Mais revenons à Milly, à l'insoutenable histoire de cette jeune Française qui ne nous épargne rien de cette nuit d'horreur. Une nuit où ses amis l'ont abandonnée à un viol collectif, à cette «tournante» dont elle est ressortie brisée.
Plusieurs hommes lui crachent dessus, la traitent de pute, lui imposent des fellations, des pénétrations sans préservatif. Un autre lui plante un revolver sur la tempe, la menaçant au cas où elle voudrait parler. Puis il la viole à son tour.
Elle en sortira avec de nombreuses blessures, des traces de morsures, du sperme sur ses vêtements, une maladie sexuellement transmissible qui compromet aujourd'hui ses chances, si elle le souhaite un jour, d'avoir des enfants et un traumatisme à vie.
Ses «amis», ceux qui l'ont abandonnée dans cette cité en banlieue parisienne, reviennent la chercher. Alors qu'elle envoie des messages à son frère pour qu'il l'aide, pour qu'il prévienne la police, l'un de ses amis lui prend son téléphone et le balance par la fenêtre, avec ses papiers. Puis décide qu'ils doivent se débarrasser de la jeune femme: elle est à nouveau abandonnée, cette fois au bord d'une route, après s'être fait tirer les cheveux et à nouveau braqué une arme dessus.
Elle frappe à plusieurs portes d'un hameau et finit par obtenir l'aide d'un homme qui lui donne son portable pour prévenir sa mère, à qui elle écrit:
L'homme la dépose dans une gare, elle prend le train pour Paris, puis un TGV pour rentrer chez elle. Pendant qu'elle se douche en pleurant, sa mère embarque ses vêtements et les conserve dans un sac en plastique.
Un geste qui permettra à la police d'identifier l'ADN dans le sperme de plusieurs hommes, et ce, plus d'un an après les faits, lorsque les deux femmes se sentiront prêtes à déposer plainte. Dans cet intervalle, Milly perd dix kilos, boit un litre de vodka par jour. La découverte des profils ADN aggrave ses symptômes de stress post-traumatique: Milly se scarifie et tente à plusieurs reprises de se suicider. Le 13 décembre 2022, la police place neuf personnes en garde à vue.
Le témoignage de Milly est précieux. Car si ces affaires ne sont pas si exceptionnelles, le récit d'une telle nuit d'horreur, surtout à visage découvert, est aussi rare que nécessaire.
L'histoire bouleversante de la jeune femme fait écho à une autre affaire qui fait les gros titres et boulverse l'opinion publique. Celle de Gisèle Pelicot. La Française a été droguée par son mari et violée par des inconnus pendant dix ans.
Celui que la presse nomme «le procès des viols de Mazan», qui se déroule en ce moment à Avignon, ne se tient pas à huis clos, à la demande de la victime de ces atrocités. «Pour que la honte change de camp», explique Gisèle Pelicot, devenue un symbole de force et de courage.
"Merci d’être là", dit Gisèle #Pelicot au public pic.twitter.com/R5QgxxChDM
— Juliette Campion (@JulietteCampion) October 9, 2024
Ainsi, petit à petit, la parole se libère. Dans la continuité de #MeToo, les femmes parlent. Ne se cachent plus. Milly, Gisèle et d'autres femmes qui n'ont plus honte d'être les victimes de ces atrocités. Chaque procès à visage découvert, chaque femme qui raconte son histoire, qui refuse de cacher ses blessures derrière des portes fermées, contribue à redéfinir les contours d'une justice où la honte change enfin de camp. Ce geste, loin d'être anodin, est une revendication forte: celle de ne plus porter seule le fardeau du silence, mais de le partager avec une société qui, elle aussi, a sa part de responsabilité. Merci Milly d'avoir eu le courage d'en parler.
Car il ne s'agit plus seulement de juger des faits, mais de comprendre les dynamiques qui ont permis ces violences, d'exposer au grand jour une culture du déni, du blâme et de l'injustice. Refuser le huis clos, refuser de se taire, c'est refuser la peur. C'est obliger la société à regarder en face ses propres dysfonctionnements et à entamer une réflexion profonde sur la manière dont elle traite ses victimes.
Ces femmes rappellent que la honte doit appartenir aux agresseurs, et non à celles qui survivent. Petit à petit, ces voix s'imposent, fissurent les murs de la loi du silence, et nous invitent, toutes et tous, à participer à ce changement irréversible. Un changement qui commence en acceptant d'affronter l'horreur du témoignage de Milly.