Des supposés trafiquants tués par l'armée et loin du territoire américain: en frappant un bateau de «narcoterroristes» dans les Caraïbes, les Etats-Unis de Donald Trump imposent la manière forte en militarisant la lutte contre le trafic de drogue. Cette opération médiatisée par le président américain reste exceptionnelle du fait de l'implication de l'armée et non des forces de l'ordre. Et elle va se «reproduire», a affirmé mercredi Marco Rubio.
Le chef de la diplomatie américaine confirme ainsi qu'il ne s'agit pas là d'un acte isolé mais bien d'un changement de doctrine de la part de Washington, déterminé à utiliser la force militaire contre le narcotrafic, et ce loin de ses frontières.
Sur une vidéo publiée par le président américain, on voit une petite embarcation touchée par une forte explosion - et non stoppée ou arraisonnée par des agents afin d'arrêter ses occupants. Selon Donald Trump, 11 «terroristes» ont été tués.
Après avoir mis en doute la réalité de l'opération en évoquant des images générées par l'intelligence artificielle, Caracas en a mis en cause la légalité: «Aucun soupçon de trafic de drogue n'autorise les exécutions extrajudiciaires en mer», a dénoncé le ministre vénézuélien de l'Intérieur Diosdado Cabello.
Pour Ryan Berg, du cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies, la méthode employée par Washington est «bien plus proche de la manière avec laquelle les Etats-Unis luttent contre les pirates dans la région du Golfe ou contre les terroristes au Sahel». Washington avait ainsi banalisé, notamment sous le mandat de Barack Obama, les assassinats par drone de jihadistes supposés dans de nombreux pays du Moyen-Orient.
Selon Donald Trump, les trafiquants visés mardi dans les Caraïbes étaient membres du Tren de Aragua, l'un des importants cartels vénézuéliens récemment classés par Washington comme organisation terroriste. Ce classement permet ainsi cette «implication directe sans précédent de l'armée», souligne Guadalupe Correa-Cabrera, spécialiste de la criminalité organisée dans la région à l'Université George Mason.
Si, souligne-t-elle, il ne s'agit pas techniquement d'un acte de guerre, le message est clair, et pas seulement pour le Venezuela. La frappe de mardi est survenue le jour de la visite de Marco Rubio au Mexique, un pays dans lequel l'administration Trump n'exclut pas d'«intervenir militairement», fait valoir Guadalupe Correa-Cabrera.
Ce «recours à une frappe militaire au lieu d'une traditionnelle opération de police» n'a pas pour unique objectif de «décourager les trafiquants de drogue», abonde Gustavo Flores-Macias, doyen de l'école d'affaires publiques de l'Université du Maryland.
L'opération constitue aussi «une démonstration de force pour montrer au gouvernement de Nicolas Maduro que les Etats-Unis n'écartent pas une action militaire au Venezuela», ajoute-t-il.
La marine américaine a récemment déployé sept navires de guerre dans les Caraïbes, alors que Washington accuse le président vénézuélien de diriger un réseau de narcotrafic et a mis sa tête à prix. Mais selon Ryan Berg, le risque d'une escalade militaire avec le Venezuela est «minimale»: l'opération s'est déroulée dans les eaux internationales et, si Nicolas Maduro s'en offusquait, cela «reviendrait presque à confirmer l'accusation américaine qu'il est un narcotrafiquant et à la tête d'un cartel», ajoute-t-il.
En attendant, ce spécialiste estime que le déploiement des bâtiments américains «pourrait perturber pour un certain temps les routes de trafic dans le sud des Caraïbes».
Cette manière forte est revendiquée par le gouvernement américain. «Les temps ont changé. Nous sommes dans une nouvelle ère», a tonné le ministre américain de la défense, Pete Hegseth. «Le temps où l'on pouvait agir en toute impunité et se contenter de détruire un appareil ou de saisir un peu de drogue sur un bateau est révolu», a dit de son côté son collègue Marco Rubio.