International
Etats-Unis

Rudy Giuliani, l'avocat déchu de Donald Trump

En moins d'une décennie, Rudy Giuliani est passé de l'ex-maire et procureur respecté au «clown» de service.
En moins d'une décennie, Rudy Giuliani est passé de l'ex-maire et procureur respecté au «clown» de service.image: getty, montage: watson

Comment le héros du 11 septembre est devenu le «clown de Trump»

Après avoir navigué ensemble pendant 40 ans, Donald Trump et son ancien acolyte, Rudy Giuliani, se retrouvent aujourd'hui englués dans la même galère judiciaire, en tant que «co-accusés». Retour sur la lente descente aux enfers de l'ex-maire de New York, passé du héros du 11-Septembre au clown déchu.
03.09.2023, 08:0005.10.2023, 11:48
Suivez-moi
Plus de «International»

La première fois que Rudolph Giuliani prononce publiquement le nom de Donald Trump, dans une salle du palais de justice fédéral de New Haven, Connecticut, il est à des années de s'imaginer qu'il comparaîtra un jour à ses côtés pour «complot» et «conspiration». 37 ans, pour être exact.

Ce jour d'automne 1986, c'est encore un fringuant procureur de 42 ans, pourvu d'une belle gueule, d'une ambition démesurée et d'une réputation impitoyable. L'un des meilleurs procureurs du district sud de New York. D'ailleurs, sa férocité contre la corruption et le crime organisé qui gangrènent la mégapole dans les années 80, l'ont placé dans le radar des cinq grandes familles mafieuses de New York. Sa vie aurait fait l'objet d'un vote. Rudy Guliani s'en est sorti d'un cheveu - brossé et gominé.

UNITED STATES - OCTOBER 1984: US attorney Rudolph Giuliani. (Photo by Ben Martin/Getty Images)
«Une fresque du quattrocento représentant un saint obscur», décrit le Time Magazine en 2001. Image: Archive Photos

Un génie qui dort rarement plus de «5 heures par nuit»

Assis dans cette même salle d'audience, Donald Trump, 40 ans, encore aux prémisses de sa carrière. Quand il ne vaque pas à façonner son empire immobilier, le New-Yorkais court les clubs privés et les couvertures des tabloïds.

American businessman Donald Trump at a book launch party held in the Harry Winston Salon at Trump Tower in New York City, November 1986. (Photo by Tom Gates/Pictorial Parade/Archive Photos/Getty Image ...
Donald Trump, à ses prémisses, en 1986.Image: Archive Photos

Les deux hommes ne se connaissent pas encore, mais ils partagent de nombreux points communs. Jeunesse, impétuosité, soif de pouvoir, de fric, de gloriole et de publicité. Tous deux ont grandi dans les quartiers périphériques de New York, se sont fait un nom à Manhattan et alimentent désormais la rubrique potins du New York Post. De vraies icônes américaines, déjà.

«Ils travaillaient tous impeccablement avec les médias, et ils étaient dans un club qui remonte aux années 1980»
Andrew Kirtzman, auteur d'une biographie sur Rudy Giuliani.

Cette renommée ne satisfait pas le procureur américain en quête de renommée. Rudy Guliani, lui, se verrait bien maire de New York. Sa deuxième tentative sera la bonne. En 1993, l'ex-procureur accède à l'un des postes les plus convoités du pays. Le premier républicain à diriger la ville depuis plus de 20 ans.

UNITED STATES - SEPTEMBER 18: Mayor Rudy Giuliani leads the annual Steuben Day Parade on Fifth Ave. with Grand Marshall Donald Trump. (Photo by Evy Mages/NY Daily News Archive via Getty Images)
Aux rangs des donateur lors de sa première campagne, en 1989: Donald Trump, qui d'autre?Image: New York Daily News

Un job prestigieux, certes, mais pas une partie de plaisir. Lorsqu'il prend ses fonctions à la mairie, la plus grande ville d'Amérique est asphyxiée, prise à la gorge par un déficit de plus de 2 milliards de dollars, la criminalité, la drogue, le chômage, la saleté et les incivilités.

Le «plus grand maire» de New York

La mégapole s'apprête à connaître un second souffle. Son nouveau chef est iconoclaste, bavard, exubérant, passionné des Yankees et d'opéra, à l'aise dans les galas de charité comme sur les plateaux télés, et collectionne les maîtresses aussi bien que les costumes lignés. Mais Giuliani ne se contente pas d'être l'archétype vivant du New-Yorkais. Il est aussi l'homme providentiel qui parvient à restaurer l'esprit de sa ville natale. Sous son mandat, la criminalité est réduite de deux tiers, 691 000 personnes sortent de l'aide sociale, des quartiers entiers, dont Time Square, reprennent vie.

UNITED STATES - MAY 04: Mayor Rudy Giuliani and Donald Trump at news conference at the GM Building, where CBS announced that Bryant Gumbel will be the host of its new morning news program, "This  ...
Les deux hommes ont soif de lumière et ne manquent jamais une occasion de faire le buzz.Image: New York Daily News

Autant d'exploits qui lui valent le surnom de «plus grand maire de l’histoire de la ville de New York» de la part d'un Donald Trump admiratif et qui se tâte lui-même à une candidature présidentielle.

«Certaines personnes ne l'aiment pas, et d'autres l'adorent. Moi, il se trouve que je suis amoureux»
Donald Trump à propos de Rudy Giuliani, sur Larry King Live, le 7 octobre 1999.

Sans être véritablement amis, les deux hommes gravitent dans la même orbite et se vouent une admiration mutuelle, teintée d'une concurrence bonne enfant. Des colosses new-yorkais qui se partagent un univers, où les hommes puissants font étalage de leur argent et de leur influence. Un monde où le moindre prétexte est bon pour faire la Une - même un sketch douteux, au «Inner Circle», où Rudy Giuliani, travesti et blond, se fait joyeusement peloter la poitrine par son compère.

Juste pour le plaisir...

Hélas, la politique est un univers impitoyable. Rudy Giuliani a beau être un républicain sur mesure pour la très démocrate New York, lui qui défend le contrôle des armes à feu, les droits des homosexuels et l'avortement, son tempérament brûlant finit par lasser. De même que ses frasques à répétition, ses combats interminables contre une poignée d'adversaires politiques et, surtout, sa vie privée étalée dans les colonnes de la presse à scandale.

«Il est devenu un canard boiteux épuisé et isolé, miné par la grossièreté et le spectacle peu attrayant de ses drames personnels»
The New Yorker.

En juin 2001, au terme d'une procédure de divorce sanglante, le maire de New York se retrouve privé de sa maison. Avec seulement 7000 dollars à son nom et pour seule perspective, une colocation temporaire chez un couple d'amis homosexuels. A cela s'ajoute un cancer de la prostate fulgurant, la même maladie qui a eu raison de son père.

Il en faudrait plus pour le tuer.

Un héros du 11-Septembre

Le matin du 11 septembre 2001, Rudy Giuliani achève son petit-déjeuner à l'hôtel Peninsula, dans le centre de Manhattan. Le ciel est azur, la température douce, la journée s'annonce parfaite. Jusqu'à ce que le téléphone sonne. Au bout du fil, un assistant informe le maire de New York qu'un avion vient de percuter l'une des tours du World Trade Center.

Giuliani abandonne son assiette pour une camionnette beige, qui avale les six kilomètres qui le séparent des tours jumelles. Le véhicule arrive sur les lieux quelques minutes après le deuxième impact. Le ciel est souillé de fumée et de corps humains qui tombent des fenêtres.

Les images du maire bravant la poussière feront le tour du monde.
Les images du maire bravant la poussière feront le tour du monde.getty

Calme, inflexible, réfléchi, le maire impopulaire fait preuve d'une maîtrise absolue. Les images de l'homme empoussiéré, à la tête d'un peloton de fonctionnaires, de journalistes et de civils, à travers un blizzard de cendres, feront le tour du monde. Rudy Giuliani endosse la cape de héros national. «Le maire de l'Amérique», clame la papesse de la télé Oprah Winfrey. Le TIME va plus loin: il est le «maire du monde» et la «personnalité de l’année».

Pendant un bref instant, grâce à Guliani, les Américains sont tous des New-Yorkais. Le pays devient son électorat.

Le début de la décadence

Après avoir quitté ses fonctions de maire et assuré la promotion d'un livre à succès, Leadership, l'ex-procureur se lance dans une prolifique série de conférences à travers le monde, qui lui rapporteront des millions de dollars. De quoi galvaniser cet homme toujours avide d'attention et de reconnaissance. Alors, après la mairie de New York, pourquoi pas la présidence des Etats-Unis?

Son style abrasif et son obsession pour le terrorisme échouent à convaincre. Sa candidature implose en plein vol. C'est un Rudy Giuliani humilié et miné par une dette de 4 millions de dollars qui se se retire de la course. La fin de l'espoir de toute une vie. Le début d'une période creuse.

Donald Trump en sauveur

Pour le sortir de sa dépression et d'une consommation d'alcool croissante, un homme providentiel: Donald Trump. «Nous avons emménagé à Mar-a-Lago et Donald a gardé notre secret», témoigne Judith Giuliani, sa troisième épouse dont il a divorcé en 2019, au New York Times. Un sauveur inespéré, mais aussi le début de l’un des partenariats les plus toxiques de l’histoire présidentielle récente.

WASHINGTON, DC - MAY 30: Rudy Giuliani wipes his head before President Donald J. Trump arrives to speak at the White House Sports and Fitness Day event on the South Lawn of the White House on Wednesda ...
Rudy Giuliani, en 2018. L'ex-avocat ne se sépare jamais de ses deux chevalières en diamants, dont l'une à l'effigie des Yankees.Image: The Washington Post

L'homme d'affaires offre au couple en quête de calme un endroit sûr et à l'abri des regards indiscrets: un bungalow face au manoir de Mar-a-Lago, relié par un petit tunnel sous South Ocean Boulevard, étroite autoroute à deux voies. Pendant plusieurs semaines, les Giuliani peuvent aller dîner discrètement avec Donald et Melania Trump, sans crainte d'être dérangés ni photographiés par la presse, toujours avide des histoires de déchéance.

Le «clown de Trump»

Lorsque Rudy Guliani retourne enfin à la lumière, c'est pour porter la bannière de Donald Trump. Il faudra toutefois dix longs mois avant de soutenir publiquement le milliardaire, après son annonce dans la Trump Tower, en 2016.

Mais ensuite, il est à fond.

«Rudy voulait redevenir pertinent. Et Trump lui a donné cette plateforme»
Un ancien assistant, au New York Times.

Dévoué et omniprésent dans les dernières étapes de la campagne, Rudy n’abandonnera plus jamais l'homme qui a été tour à tour son protégé et son protecteur. Une fidélité dont il sera récompensé, après la victoire, par plusieurs postes importants à la Maison-Blanche.

Faute d'obtenir la fonction convoitée de secrétaire d'Etat, l'ex-maire de 75 ans devient gracieusement l'avocat personnel du président, et, accessoirement, conseiller informel. Il campe plutôt bien son poste de chien d'attaque. Quitte à se retrouver empêtré dans les déboires juridiques de son client.

«Il est à 100% de mon côté et fidèle à moi comme je le suis à lui»
Ruy Guliani, à propos de Donald Trump.

Malgré la teinture brune, les apparitions erratiques à la télévision et les scandales sucessifs qui dégoulinent sur le mandat présidentiel, Donald Trump ne lâche pas Rudy Giuliani. Son «clown», ricane le New Yorker.

WASHINGTON, UNITED STATES - NOV 19: Former New York City Mayor Rudy Giuliani, lawyer for U.S. President Donald Trump, speaks during a news conference about lawsuits related to the presidential electio ...
La teinture suintant sur les tempes de Guliani, en 2020, restera une image tristement historique.Image: The Washington Post

Jusqu'au soir de l'élection présidentielle, le 6 novembre 2020. Alors que Donald Trump joue son deuxième mandat, Rudy Giuliani, fortement éméché selon les témoins, sera le seul conseiller à le convaincre de déclarer sa victoire. Le début de la fin.

L'enfer judiciaire

Le prochain chapitre de la longue et tumultueuse existence publique de l'ancien procureur de New York, Rudolph W. Giuliani, devrait s'écrire grâce à d'autres procureurs. Officiellement «co-conspirateur n°1» de Trump dans l'affaire de complot pour renverser les résultats de la présidentielle, il fait également partie des 18 co-accusés dans l'affaire du décompte des voix, dans l'Etat de Géorgie.

ATLANTA, GEORGIA - AUGUST 23: In this handout provided by the Fulton County Sheriff's Office, Rudy Giuliani, former personal lawyer for former President Donald Trump poses for his booking photo o ...
Une accusation qui a valu au fidèle d'entre les fidèles de Trump, son tout premier mug shot.Getty Images North America

Fidèle à son acolyte de longue date, Rudy accumule les déboires judiciaires comme autant de trophées - racket, harcèlement sexuel, diffamation. Un interminable tourbillon judiciaire qui a mis à mal les finances de Rudy Giuliani, qui vient de mettre en vente sa maison de l'Upper East Side, à Manhattan, pour 6,5 millions de dollars.

En ce qui concerne son associé de toujours, Donald Trump, si des proches qualifient désormais leur relation privée d'«inégale», il n'est jamais bien loin. Après avoir longtemps refusé de participer à ses frais juridiques, il a organisé en septembre une «somptueuse» soirée de soutien sur son golf de Bedminster. Les billets à 100 000 dollars pièce devaient permettre de collecter des fonds pour la défense juridique de Rudy Giuliani.

36 ans de liaison dangereuse, ça ne s'oublie pas en l'espace d'un mugshot.

Les chiens dans le métro de New York
1 / 14
Les chiens dans le métro de New York
On peut prendre son chien uniquement s'il rentre dans un sac.
partager sur Facebookpartager sur X
Des éclaires pour annoncer l'arrivée de l’ouragan «Idalia» en Floride
Video: watson
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
La Cour suprême devrait rejeter l'immunité de Trump
L'élection présidentielle américaine, comme si vous y étiez. (Ou presque.) Suivez en direct les dernières infos, les abandons, les coups bas, les coups de sonde et le marathon judiciaire de Donald Trump. Pour connaître l'identité du prochain président le plus puissant de la planète, RDV le 5 novembre. Cheers!

🍔 L'élection présidentielle américaine a officiellement démarré le 15 janvier 2024, avec le très attendu caucus républicain de l'Etat de l'Iowa. Fred vous racontait tout ça ici.

L’article