C’est quoi ce bordel entre Donald Trump et Elon Musk?
Françoise Coste: Alors, au départ, Elon Musk a affiché sa colère contre le projet de budget du président, que Trump a baptisé «Big Beautiful Bill» et que Musk a traité d’«abomination dégoûtante». Un budget qui nourrit l’obsession républicaine, car Donald Trump a fait comme Reagan, Bush ou lui-même au début de son premier mandat: baisser les impôts, principalement pour les personnes les plus riches, et pour les grandes sociétés. Avec pour conséquence quasi certaine de creuser la dette publique américaine.
Pourquoi diable Elon Musk se montre-t-il tant concerné par l’état de la dette américaine?
Je pense qu’il est sincère dans sa colère.
Un raisonnement qui est problématique, mais qui n’est pas rare. Dans ce cas de figure, il a surtout pris les républicains au mot, en pointant leur hypocrisie et leurs contradictions. Or, cela fait au moins quarante ans que, lorsqu’ils sont à la Maison-Blanche, les républicains baissent les impôts et creusent la dette. Et quand ils sont dans l’opposition, face à un président démocrate, ils clament qu’il faut couper dans les dépenses sociales. C’est d’ailleurs ce qui s’était passé sous Obama, avec le Tea Party.
Musk menace tout de même les élus républicains de représailles lors des Midterms, s’ils venaient à faire passer cette loi budgétaire. Faut-il le prendre au sérieux?
Je ne sais pas. Faire couler toutes les candidatures républicaines qui lui déplaisent, ça voudrait dire soutenir, notamment financièrement, les adversaires démocrates? Idéologiquement, il est en train de se lancer dans un itinéraire compliqué.
Mais Musk a-t-il néanmoins les moyens de renverser l’issue du vote sur le budget, dans un coup de colère?
La loi passera, il n’y a aucun suspense. Car les républicains du Congrès n’ont aucune autre colonne vertébrale idéologique que la baisse des impôts. Donc, si une loi permet de baisser les impôts, ils vont la défendre, surtout si ça leur permet de rester dans les bonnes grâces de Trump. Les menaces d’Elon Musk ne les feront pas changer d’avis.
D’autant que le patron de SpaceX est une personnalité fantasque et erratique. Qui nous dit qu’il pensera la même chose dans dix jours?
Cette charge de Musk renforce malgré tout cette idée que les républicains seraient actuellement divisés, notamment autour de cette loi budgétaire. Qu’en est-il réellement?
Pour l’instant, tout le parti est entre les mains de Donald Trump. Même s’ils le voulaient, la majorité des élus républicains n’ont pas l’intention de contredire le président avant les Midterms. Ce n’est pas dans leur intérêt. Aujourd’hui, Trump possède un capital politique autrement plus solide qu’Elon Musk.
Quelles conséquences faut-il prévoir dans la foulée de ce divorce fracassant entre les deux mâles milliardaires?
Très concrètement, la question de tous les contrats d’Elon Musk avec le gouvernement fédéral va très vite atterrir sur la table, en particulier entre le programme Starlink et le Pentagone. Donald Trump peut très bien décider de rompre ces contrats du jour en lendemain, comme il l’a déjà suggéré jeudi soir dans un message sur les réseaux sociaux.
Mais Trump et les Etats-Unis peuvent-ils réellement se passer des sociétés de Musk du jour au lendemain?
Je ne sais pas si le Pentagone a les moyens, aujourd’hui, de changer rapidement de fournisseurs.
Une relation qui ne date d’ailleurs pas de Donald Trump, mais de Barack Obama et Joe Biden a repris le flambeau.
Cette fascination l’un pour l’autre, durant cette bromance de quelques mois, était-elle sincère selon vous?
Oui. J’ai toujours pensé que Donald Trump était sincèrement flatté que l’homme le plus riche du monde s’intéresse à lui. Il n’admire que les businessmen qui ont fait de l’argent, d’autant plus ceux qui sont partis quasiment de rien. Les mâles alphas s’admirent avant de s’entretuer.
Cette fascination était donc vouée à se terminer dans le bruit et la fureur?
Tout à fait. Cette amitié, intéressée et gorgée d’égo, ne pouvait pas durer et allait forcément aboutir à un violent rapport de force. C’est leur nature: l’un doit prendre le dessus sur l’autre à un moment donné.
Les chamailleries autour du budget ne sont donc finalement que la goutte qui a fait déborder un vase qui allait invariablement exploser en mille morceaux.
La dette est évidemment un prétexte qui tombe à pic.
Mais, alors, qu’est-ce qui a véritablement foiré entre les deux? Est-ce concret ou au contraire purement émotionnel?
L’argument de son «département» pour se lancer dans de violentes coupes budgétaires était le gaspillage, les fraudes, les abus. Or, force est de constater que le budget était plutôt bien géré et que les fraudes tant brandies par Elon Musk n’étaient pas si nombreuses.
Et du côté de Donald Trump?
Le président a sans doute été rapidement agacé de la médiatisation de Musk, qui est toujours resté malgré tout un rival sous ses projecteurs qu’il aime tant.
Du coup, on a envie de se demander à quoi cette relation a bien pu servir, concrètement.
Elon Musk a concrètement coupé certains budgets. Comme le voulait Donald Trump. Pas dans les proportions qu’il avait promis, mais l’Usaid a quand même été décapitée et de nombreuses organisations humanitaires dans le monde ne peuvent ainsi plus faire leur travail. C’est terrible, mais c’est théoriquement une preuve d’efficacité, notamment pour Donald Trump.
Une paille, malgré tout, face à l’immensité du budget américain...
Voilà, ce sont des dépenses faciles à juguler. Elon Musk ne s’est pas du tout attaqué aux gros morceaux, que sont les retraites, le budget militaire ou l’agriculture. Pour une raison simple: c’est quasiment intouchable.
Musk va-t-il tenter un rapprochement avec les démocrates?
Aucune chance. Si on pensait à l’époque qu’il pouvait être démocrate, avec ses voitures électriques et son vote pour Barack Obama, nous avons aujourd’hui l’assurance qu’il n’en est pas un. Sa guerre contre le wokisme est trop ancrée en lui pour imaginer qu’il puisse s’allier, même de manière intéressée, à des démocrates.
Va-t-on assister à une rupture fracassante, puis plus rien, où ce conflit va avoir des conséquences plus graves?
J’ai envie de dire que... ça dépend de ce qui cache derrière la fameuse «bombe» d’Elon Musk au sujet de l’affaire Epstein. Si l’homme le plus riche du monde a effectivement des informations qui prouvent que Donald Trump était impliqué, cela peut devenir un énorme scandale. Plus généralement, Musk va certainement vouloir perturber Trump et les affaires politiques américaines, mais le budget passera, malgré ses futures gesticulations.
Vont-ils se rabibocher à votre avis?
Non, ça m’étonnerait. C’est allé trop loin, trop fort, trop vite.