Il y a huit ans, Donald Trump devenait coup sur coup président des Etats-Unis et «personnalité de l'année 2016». Time, fier propriétaire de ce concours qui vieillit mal, avait alors précisé que le milliardaire incarnait le «président des Etats Divisés d'Amérique», histoire de situer à la fois le personnage et les opinions du magazine. Il s’agissait de prouver que ça va un peu plus loin que Miss France. Ce qui n'a pas empêché l'ancienne star de la télé-réalité new-yorkaise (et le reste du monde) de considérer cette nomination comme un trophée.
C'est leur truc depuis toujours, au Time: rappeler que l'on peut faire l'actualité sans qu'elle ne soit forcément positive. Officiellement, et depuis 1927, Time hisse sur sa couv' la personnalité qui, selon lui, «a le plus influencé les événements mondiaux pour le meilleur ou pour le pire». Raison pour laquelle Adolf Hitler fut désigné «Homme de l'année» en 1938 et que Benjamin Netanyahou faisait partie de la short list pour 2024.
Pas rassasié pour un sou, en novembre 2017, le même Donald Trump avait prétendu, sur feu Twitter et avec l'hystérie délirante qu'on lui connait, que le magazine s'apprêtait à doubler la mise:
Time Magazine called to say that I was PROBABLY going to be named “Man (Person) of the Year,” like last year, but I would have to agree to an interview and a major photo shoot. I said probably is no good and took a pass. Thanks anyway!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) November 24, 2017
Bien sûr, les huiles du magazine se sont empressées de démentir, avant de couronner les briseuses de silence, qui ont poussé #MeToo au cœur de l'actualité et Harvey Weinstein en prison. Ironic, isn't it?
En vérité, le futur 47e président des Etats-Unis nourrit une véritable obsession pour l'âge d'or de Time. L'inverse est d'ailleurs tout aussi vrai, puisque le milliardaire a fait la Une quatre fois en une année. Et c’est moins un simple besoin de faire causer qu’une tortueuse relation d’amour-haine. Tenez, toujours en 2017, le Washington Post révélait que Donald Trump avait garni au moins cinq de ses clubs de golf d'une fausse couverture en son honneur, datant de 2009.
Alors qu'il rêve d'atomiser la presse américaine traditionnelle, en menaçant par exemple de lui interdire l'accès à la salle de presse de la Maison-Blanche dès 2025, il a toujours réservé un sort particulier à Time. Tour à tour, il le traitera de «vaste blague, avec sa liste des 100 personnes les plus influentes qui est un coup monté», en 2013, et de «magazine très important» en 2016, l'année de son sacre. (No shit.)
Sans oublier que Trump n'avait pas réussi à cacher son immense et très infantile déception, quand Angela Merkel est devenue «Person of the year» en 2015.
En d'autres termes, Donald Trump déteste Time avec la même intensité qu'il lui demande de le respecter très fort. Pour dire, les chefs mafieux entretiennent peu ou prou la même relation toxico-narcissique. Comme l'écrivait très justement The Atlantic en 2017, «Time compte pour Trump parce qu'ils ont tous deux émergé à une époque révolue». Mais, ça, c'était avant qu'il ne rafle les élections de novembre dernier.
Plus tôt cette année, beaucoup pariaient sur la chute du milliardaire, censé se ranger naturellement dans les archives de l'Histoire, au même titre que l'opération annuelle du Time, devenue l'unique hameçon marketing d'un magazine qui pleure son influence d'antan.
Le 47e président des Etats-Unis mérite largement sa (deuxième) statuette de «Person of the year». Il y a dix ans, le magnat de l'immobilier courait après Time pour hurler aux tympans du monde qu'il a de l'influence. En 2024, Time n'a pas eu tant d'autres choix que de le hisser une énième fois en couverture, pour se prouver qu'il en a encore un peu. En cherchant à faire volontairement l'actualité, Donald Trump a gagné, comme il l'a toujours désiré: «Sur tous les fronts».