Le dimanche 3 novembre, soit cinq jours après les inondations historiques qui ont endeuillé la région de Valence, les politiques se sont rendus dans la commune de Paiporta, l'une des plus touchées par le sinistre. La population en colère a jeté de la boue, hué, et parfois insulté les trois hommes. Sébastien Farré directeur exécutif de la maison de l'Histoire à Genève et expert de l'Espagne contemporaine, nous explique les tensions politiques qui règnent en Espagne.
Le chef du gouvernement régional de Valence, Carlos Mazon, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez et le roi Felipe VI ont été reçus sous les huées et insultes à Valence, comment expliquer cette réaction de la foule envers ses politiques?
La population est en colère. Elle dénonce l'alarme jugée tardive, la lenteur des secours et l'inaction des politiques. Ces trois hommes ont cristallisé toute son indignation. On peut comprendre la colère et le sentiment d'abandon de la population. Il est vrai aussi que le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, avait déjà été pris à partie verbalement par le passé, mais que trois politiques présents soient menacés physiquement, c'est inédit dans la vie politique espagnole.
Inédit de par la violence de la réaction de la foule?
Oui. De par l'ampleur de la menace. On a frôlé la catastrophe. Quelqu'un aurait pu être grièvement blessé.
Dans les médias étrangers, l'on titre sur la colère des habitants envers le roi et le premier ministre espagnol, tout en stipulant que Felipe VI n'était pas visé directement par les jets de boue, qui était visé, selon vous?
Ce que j'ai vu, c'est que la population a jeté de la boue contre toute la délégation, elle s'est sentie abandonnée par tous les politiques.
Les opérations de secours sont encore en cours et certaines victimes n'ont pas encore été retrouvées. Je pense que cette opération, qui apparemment était une décision du roi Felipe VI, était délicate et peu opportune. Cela étant dit, je tiens aussi à préciser aussi qu'il y avait des militants d'extrême droite sur place et qu'ils sont venus pour s'attaquer au premier ministre Pedro Sanchez.
Vous parlez du mouvement d'extrême droite Vox auquel le parti populaire (PP, droite) s'est allié en 2023 pour obtenir la majorité au parlement valencien?
Oui. Il y avait, semble-t-il des militants de Revuelta, mouvement lié à Vox qui se sont rendus à Paiporta pour menacer Pedro Sanchez (PS).
On assiste récemment au glissement de la vie politique espagnole dans la violence. Je constate une sorte de normalisation de la haine et de l'insulte, notamment sur les réseaux sociaux.
‼️ Lanzan objetos y fango al rey a su llegada a Paiporta: “¡Asesinos!”https://t.co/WdBMbvISwd pic.twitter.com/GAwqOnZuWz
— elDiario.es (@eldiarioes) November 3, 2024
La personne visée par ces insultes et cette colère était donc le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez?
Je dirai qu'il était le plus menacé physiquement. D'ailleurs, il a dû être évacué rapidement alors que le roi Felipe VI est resté avec la foule.
Je constate que le parti populaire (droite) préfère critiquer le premier ministre Pedro Sanchez, au lieu de dénoncer la violence dont il a été victime. Au risque de me répéter, cette violence envers les autorités est inhabituelle en Espagne et elle s'est cristallisée sur Sanchez. Le flot de haine auquel il fait face est inédit.
La population critique les défaillances du système d'alerte qui a été déclenché seulement dans la soirée alors que les inondations étaient déjà en cours dans certaines villes, est-ce la région de Valence ou l'Etat central qui pilotait ce système d'alerte?
Je pense qu'il faut avoir une certaine prudence sur ces informations concernant les différents niveaux d'alerte. Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives, nous ne savons pas qui est responsable pour l'instant. Ce que je peux vous dire c'est que la gestion des crises est pilotée par la région de Valence donc le gouvernement régional.
Ce qui est intéressant aussi c'est que cette crise relance les difficultés de l'Espagne à partager les compétences de l'Etat et des communautés autonomes.
D'inondations historiques, on a glissé vers un problème institutionnel me direz-vous?
En Espagne, il ne faut pas oublier qu'il y a des équilibres régionaux qui sont liés à des rapports de force politiques fragiles. La région de Valence est un gouvernement du Parti populaire (PP) aidé par l'extrême droite (Vox), on peut considérer que c'est un gouvernement défiant par rapport au gouvernement de Madrid donc à Pedro Sanchez.
Et le roi dans tout ça, quel rôle joue-t-il?
Le roi incarne la solidarité espagnole. Dans le cas présent, on ne peut pas considérer que le roi défend un parti plutôt qu'un autre. Il s'est retrouvé au milieu de la foule en colère, mais, comme je l'ai dit précédemment, venir aussi tôt après les événements était une erreur d'appréciation. Le roi actuel, Felipe VI, ne bénéficie plus de l'aura qu'avait son père, Juan Carlos. Cela est d'autant plus vrai depuis la chute de son père, mais aussi depuis que l'institution monarchique est questionnée par des partis nationaliste et une partie de la gauche.
Qui a le plus à perdre dans cette situation de colère populaire?
Je pense que le roi ne va pas être questionné par cette affaire. Il n'a pas de responsabilité dans ces événements. Ce qui intéresse les Valenciens c'est la gestion de la crise à proprement parler. Qui aurait dû prendre les décisions? Les politiques devront répondre à cette question.
Le Premier ministre a la position politique la plus fragile, c'est le plus menacé. Ce qui est paradoxal.
Pourquoi?
Parce que selon moi, durant la première phase de la crise, l'Etat espagnol n'est pas responsable.
De plus, la politique de Sanchez veut intégrer le changement climatique tandis que la politique régionale menée par la droite et l'extrême droite n'est pas de cet avis.
Et pour le gouvernement régional, dirigé par Carlos Mazon, il n'y aura pas de conséquences?
Bien sûr, mais les responsabilités se verront à moyen terme. La colère et l'indignation de la population envers l'autorité régionale dirigée par Carlos Mazon sont importantes aussi, mais je pense que le plus menacé reste le Premier ministre. Au final, dans ce climat politique violent, si Pedro Sanchez démissionne, ce sera par épuisement.