Les chiffres n'étaient pas bons. Le résultat sans appel. 10% à peine. Loin derrière Nikki Haley et Ron DeSantis. Plus loin encore de Donald Trump. Il n'y avait pas que ce score. Il y avait aussi les meetings de plus en plus clairsemés. Les participants de moins en moins énergiques. L'attrait plus fort pour le buffet gratuit et les tranches de pizza dans la salle du discours que par le discours en lui-même.
Le 15 janvier, Vivek Ramaswamy a compris. L'air vaguement déçu, le candidat de 38 ans a annoncé mettre fin à onze mois de campagne acharnée et mouvementée. C'était pour se remettre aussitôt au travail. Et pas pour n'importe qui. Son ancien adversaire, Donald Trump.
Une défaite, mais aussi une victoire. En onze mois, le plus jeune candidat de la course a réussi là où d'autres candidats se sont vautrés: parvenir à se faire un nom à l'échelle nationale. C'était loin d'être gagné. Vous vous souvenez de Asa Hutchinson, qui a abandonné le même jour? Non? Ben voilà. Ce républicain modéré de la vieille école, pourtant politicien de longue date, a passé la majeure partie de sa campagne à répéter qu'il «courrait toujours». On a connu slogan plus percutant, pour une candidature présidentielle.
En écumant les plateaux et les podcasts des personnalités de l'alt-right qui comptent, Vivek Ramaswamy n'a pas eu ce problème. L'entrepreneur millionnaire est passé, en moins d'un an, de l'auteur «anti-woke» de niche, à un habitué du circuit de l'information télévisée et des médias politiques nationaux.
Pour ça, il a fallu sortir du lot. Se façonner un personnage. Celui d'un jeune et digne héritier du mouvement Make America Great Again, dont le programme extrême et libertaire n'avait rien à envier à celui de papa Trump. Sans oublier, pour nourrir les polémiques, d'embrasser une poignée de théories du complot et de politiques sauvages. De la théorie raciste du «Grand Remplacement» à l'expulsion des enfants nés aux Etats-Unis de parents immigrants sans papiers, en passant par les théories sur l’émeute du Capitole («un travail interne» mené par des agents fédéraux) et l'élection de 2020 («volée à Trump»).
Un esprit combatif, un talent évident pour la controverse, une dose généreuse de charisme et d'ego, une agressivité communicative, une présence médiatique constante et une hyperactivité qui donne le tournis. Tous les jours, Vivek est partout et tout le temps. En particulier dans les premiers Etats de la primaire où il enchaîne les meetings, les engagements et les tournées de campagne, à bord de son bus estampillé TRUTH («vérité»). Ajoutez à ces ingrédients une performance remarquée au premier débat républicain, qui lui vaut une vague de polémiques et l'attention des médias du monde entier, vous obtenez une envolée remarquable dans les sondages.
Et puis, à mesure d'en demander plus, d'en donner plus, les choses ont tourné au vinaigre pour l'ambitieux magnat de la biotech. D'abord atout précieux, son don pour la provoc' se mue en handicap. Trop volubile, trop avide de s'accaparer l'attention, Vivek Ramswamy se répand, s'étale, se perd. Son slogan de la campagne, «Vérité», pourrait tout aussi bien être «Dis n'importe quoi, tant que ça buzze».
En fait, la seule constante dans la campagne de Vivek Ramaswamy n'est pas Vivek Ramaswamy. C'est Donald Trump. Son héros. Son inspiration. «Le plus grand président du 21e siècle», clame-t-il avec grandiloquence et des étoiles rouges blanc-bleu dans les yeux. Tout au long de sa course, celui qu'on surnomme à raison le «mini-Trump» n'a pas été avare en flagorneries. De sa promesse de gracier l'ancien président «dès le premier jour», à son mémoire d'amicus auprès de la Cour suprême, pour soutenir l'appel de Trump contre la décision du Colorado de le rayer des bulletins de vote.
Autant de démonstrations d'adoration qui ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Donald Trump n'a jamais caché son affection pour ce «lui» miniature. Lors d'une interview en août dernier, quand on lui demandait son opinion sur son jeune rival, l'ancien président va même jusqu'à se montrer réceptif à l'idée d'une vice-présidence.
Une perspective aussitôt balayée par le jeune prodige. Être un «plan B»? Très peu pour lui. Vivek veut la vedette et s'en donnera les moyens. Jusqu'au bout.
Quelques jours avant leur affrontement dans les caucus de l'Iowa, Donald Trump formule sa première - et sa seule - critique du jeune imitateur. Sur son réseau Truth Social, il accuse Vivek Ramaswamy d'être un «non MAGA». Un imposteur qui «déguise son soutien sous la forme de stratagèmes de campagne trompeurs». Il faut croire que l'intéressé ne lui a pas tenu rigueur de cette vague attaque.
Sitôt annoncé son retrait de la course, Vivek ploie le genou et voue allégeance à son héros. De son côté, Donald Trump, savoure une victoire écrasante. Après un vague (mais étonnant) compliment à l'égard de ses adversaires Nikki Haley et Ron DeSantis, il loue longuement les qualités et la campagne du jeune prodige en bout de course.
Quelques heures plus tard, à Atkinson, dans le New Hampshire, Vivek se tient à ses côtés sur la scène pour un speech endiablé. «Il n'y a pas de meilleur choix dans cette course que cet homme ici», lance Vivek Ramaswamy, sous les braillées enthousiastes d'une foule trumpiste acquise à sa cause. Il n'a pas perdu de temps.
Au point de convaincre son idole de le choisir pour son ticket? Donald Trump, lui, clame sur tous les toits qu'il a déjà fait son choix. Et il se fait un délice de faire durer le suspens.
«C'est un gars fantastique. Il a quelque chose de très spécial. C'est un honneur d'avoir son soutien», s'est réjoui le favori incontesté de la campagne à propos de son colistier potentiel, sur la scène d'Atkinson.
Ah... l'art du teasing. Il n'en fallait pas plus pour que la foule se mette à scander «VP! VP! VP!» avec un enthousiasme dégoulinant. Si on ignore encore qui Donald Trump s'est choisi comme vice-président, Vivek Ramaswamy, lui, n'a sans doute plus de doute sur sa réponse. Après sa défaite, le «Trumpboy» a tout à gagner.