Il est rare que le président des Etats-Unis, les services du renseignement ou encore le secrétaire à la défense découvrent une info en même temps que le reste du bon peuple américain, à l'heure du premier café du matin et des pages toutes fraîches du New York Times. C'est pourtant ce qui s'est passé ce 6 avril 2023, au moment de la sortie des «Pentagon Leaks» dans la presse.
Petit rappel chronologique: en janvier dernier, un internaute publie sur un serveur privé de Discord, plateforme populaire auprès des gamers, des images de documents internes classifiés - dont certains carrément étiquetés «Secret» et «Top Secret».
Quelques semaines plus tard, au mois de mars, l'un des utilisateurs du serveur republie ces mêmes images sur un autre groupe sur la plateforme. Il ne faut que quelques heures pour que les documents finissent par fuiter sur d'autres médias sociaux, dont Twitter et Telegram.
Des myriades de documents classifiés naviguent ainsi librement sur la toile, sans que l'appareil de sécurité nationale ne s'en rende compte. La violation de ces informations ultra-sensibles passera parfaitement inaperçue jusqu'au 6 avril. C'est peu dire que «personne n'est content», marmonne un haut responsable de l'administration auprès de NBC News.
Contactés par la chaîne, quelques anciens responsables du renseignement jugent ce retard «compréhensible». Pourquoi? Les documents secrets du Pentagone ont émergé dans un obscur recoin d'Internet, consacré aux jeux vidéos. Rien de bien méchant. Autant dire qu’on avait là un véritable angle mort en ligne dans le processus de collecte de renseignements américains.
Ce n'est pas faute pour chaque agence gouvernementale (CIA, Pentagone, etc.) d'enquêter sur les violations du renseignement au sein de ses propres services. Toutefois, aucun bureau n'est responsable d'écumer les réseaux sociaux pour y dénicher précisément de potentielles fuites d’informations secrètes.
Si plusieurs agences ont pris conscience de cette lacune, elles se heurtent aux limites de la démocratie et des lois américaines. S’immiscer dans les discussions privées sur des forums – qu'elles contiennent, ou pas, des documents classifiés – est interdit par la loi.
Le FBI ne peut donc s'introduire comme ça dans des groupes de conversations pour surveiller une activité potentiellement illicite. Il lui faut d’abord ouvrir un «dossier spécifique» et pouvoir justifier d’une menace potentielle. Quant au département de la sécurité nationale, s'il est autorisé à surveiller certaines activités en ligne, il s'agit seulement des forums ouverts au public.
«Si vous faites cela, vous entrez automatiquement dans des problèmes de libertés civiles», complète l'anonyme à Politico.
Le gouvernement doit donc trouver un moyen d'étendre la manière dont elle surveille les activités en ligne. Il s'agit non seulement de déterminer comment les documents ont été divulgués, mais aussi de prévenir ce genre de bévue à l'avenir.
D'autant que cette fuite intervient quelques mois seulement après plusieurs révélations sur la gestion scabreuse de documents classifiés par les administrations successives, de Donald Trump à Joe Biden. Entre tendance à sur-classifier d'un côté et laxisme de l'autre, la Maison Blanche se retrouve empêtrée dans de vastes prises de tête administratives.
Entre sécurité nationale et garantie des libertés civiles, l'administration va devoir trouver un équilibre. Une véritable mission d'équilibriste.