Face à la menace d'agression russe dans l'Est de l'Europe, la capacité à acheminer rapidement des renforts est essentielle, mais entre lourdeurs administratives et infrastructures inadaptées, l'émergence d'un «Schengen militaire» peine à se concrétiser.
En 2022, l'Allemagne avait refusé le passage par voie routière de chars Leclerc français à destination de la Roumanie, la charge par essieu des porte-chars excédant le poids autorisé par le code de la route allemand.
Et pour autoriser le passage de sa frontière par un équipement militaire, un pays de l'UE non-nommé impose une notification préalable de 45 jours, pointe la Cour des comptes européenne dans un rapport publié mercredi. Ce pays a toutefois donné «en un jour» son autorisation à du transfert d'équipements militaires en Ukraine «lorsqu'il s'agissait d'une urgence», précise-t-elle.
A ce type de lourdeurs administratives s'ajoutent des infrastructures (ponts, routes, voies ferrées) mal adaptées à un déplacement «à brève échéance et à grande échelle» des personnels et matériels comme le prévoit le plan de mobilité militaire promu tant par l'Otan que par l'Union européenne.
En Roumanie, confiait par exemple récemment le général français Bertrand Toujouse, patron de l'armée de Terre pour l'Europe, «un pont ne permet pas le passage des blindés et impose un contournement de deux heures».
«Déplacer des troupes et des armements à travers les pays de l'Union européenne reste problématique», convient Tony Murphy, le président de la Cour des comptes européenne, après un audit de l'utilisation des fonds européens mis en œuvre pour améliorer la mobilité militaire.
Ceux-ci sont «modestes» selon la Cour: 1,7 milliard d'euros entre 2021 et 2027, quand les 27 ont dépensé 326 milliards d'euros pour leur défense en 2024.
Et cette enveloppe était entièrement utilisée à la fin 2023. «Plus de quatre longues années vont ainsi s'écouler avant que des fonds européens soient à nouveau disponibles pour la mobilité militaire», pointe-t-elle, regrettant que les 95 projets d'infrastructures sélectionnés n'aient pas toujours été en fonction du besoin militaire.
Ainsi un projet visant «la construction de l'une des dernières parties d'une des routes les plus stratégiques de l'UE sur le plan militaire n'a pas été sélectionné» pour bénéficier de financement européen quand trois premiers tronçons de la même route l'avaient été.
L’état des infrastructures en Europe laisse pourtant à désirer. Selon la Banque européenne d'investissement, 80 milliards d'euros supplémentaires par an sont nécessaires pour mettre à niveau les réseaux de transport de l'UE.
Rien qu'en Allemagne, par où doivent transiter les convois depuis les ports de l'Atlantique ou de mer du Nord à destination du flanc oriental, le gouvernement devrait mettre en place un «fonds d'au moins 30 milliards d'euros pour financer les mises à niveau les plus urgentes», selon Jannik Hartmann, expert au centre de réflexion allemand (DGAP).
L'an passé, l'Allemagne, la Pologne et les Pays-Bas, depuis rejoints par Paris, ont signé une déclaration d'intention pour mettre en place un «corridor» militaire depuis les ports de mer du Nord afin d'éliminer les points de congestion dans les infrastructures, faciliter le déplacement par voie ferrée et alléger la bureaucratie.
La Norvège, la Suède et la Finlande ont également décidé de créer un couloir traversant le nord de chacun des trois pays.
En mai, la France compte déployer en 10 jours une brigade d'environ 5000 hommes, dite «bonne de guerre» avec tout son matériel et ses munitions en Roumanie à l'occasion de l'exercice de l'Otan Dacian Printemps 25. Soit «9000 mètres linéaires de flux logistique, 1500 conteneurs, 50 chars Leclerc, des dizaines de canons César et de blindés», selon le général Pierre-Eric Guillot, chef du PC Terre-Europe.
En temps de paix, pas question pourtant de déployer les matériels en 10 jours: ils seront envoyés des semaines à l'avance par voie maritime puis ferroviaire.
«Ce qu'on escompte, c'est qu'à l'occasion de ces manifestations, Otan et UE arrivent à mettre en place un Schengen militaire qui existait avant les années 1990». (afp)