Ce week-end, la marine allemande a remorqué le pétrolier Eventin - incapable de manœuvrer - vers l'île de Rügen. Long de 274 mètres et battant pavillon du Panama, il transporte près de 100 000 tonnes de brut.
Un blackout survenu à son bord semble avoir mis hors service les commandes et d'autres systèmes, comme celui d'ancrage. L'équipage de 24 personnes a dû tenir bon dans l'obscurité et sans chauffage. Cet incident illustre les risques liés à la flotte fantôme russe. La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock a vivement critiqué le Kremlin, estimant qu'il menace la sécurité de l'Europe «avec des câbles coupés, des campagnes de désinformation, des brouilleurs GPS et des pétroliers en mauvais état».
L'Occident craint depuis longtemps que les centaines de bâtiments recensés au sein de la flotte fantôme ne provoquent une catastrophe écologique. Pour la plupart en mauvais état, ils transportent de la marchandise pour le compte de la Russie, qui cherchent à contourner les sanctions.
Des propriétaires obscurs les enregistrent dans de minuscules états exotiques et lointains et les laissent naviguer souvent sans assurance valable. Le naufrage de deux bateaux russes au large de la Crimée a récemment provoqué catastrophe écologique et marée noire. Cela prouve bien la dangerosité de ces transports.
L'Otan a donc décidé de renforcer la surveillance de la mer Baltique, mais aussi de la mer du Nord, avec des unités navales et aériennes supplémentaires. L'organisation a fait appel à une intelligence artificielle britannique, chargée de surveiller les données des navires et de réagir aux mouvements suspects. Ceux-ci se manifestent notamment à proximité des câbles sous-marins ou d'autres infrastructures critiques. L'alerte peut ainsi rapidement être donnée.
L'armée suédoise a par ailleurs présenté lundi un nouveau projet: grâce à un logiciel développé par Saab, un seul soldat devrait bientôt pouvoir piloter un groupe de jusqu'à 100 drones. Ces «essaims» pourront alors passer au crible de larges zones. Objectif: neutraliser rapidement les navires suspects. C'est ce qu'a fait la Finlande peu après Noël avec le pétrolier Eagle S, battant pavillon des îles Cook et aussi répertorié comme «fantôme».
Les forces spéciales l'ont pris d'assaut, et Helsinki le retient depuis lors. Car, premièrement, il se trouve dans un état préoccupant et est donc inapte à la navigation. Deuxièmement, on le soupçonne fortement d'avoir coupé pas moins de cinq câbles électriques et internet avec son ancre au fond de la Baltique. L'enquête de police judiciaire se poursuit, mais les experts misent sur un ordre de Moscou.
Des soupçons similaires pèsent sur le cargo chinois Yi Peng 3, qui a probablement endommagé deux câbles sous-marins en novembre. Dix jours auparavant, il naviguait à une vitesse étrangement lente proche de deux câbles dans les eaux danoises; les enquêteurs y ont trouvé des traces de frottement d'une ancre, sans qu'aucun câble ne soit sectionné pour autant.
Le premier ministre suédois Ulf Kristersson a déclaré ce week-end que son pays n'était certes pas en guerre, mais qu'il n'était pas non plus en paix. Car la Russie mène de nombreuses opérations de piratage informatique, de désinformation et de sabotage précisément contre les pays nordiques et baltes. Pour le ministre estonien de l'Intérieur Lauri Läänemets, les services secrets russes planifient ces attaques de longue date. Selon lui, elles requièrent forcément des connaissances sur les infrastructures visées.
Par conséquent, les pays nordiques mettent en garde depuis un certain temps déjà contre l'espionnage russe depuis des bateaux de pêche et de recherche discrets - ou justement grâce à sa flotte fantôme. Le magazine britannique Lloyd's List cite une source bien placée qui affirme qu'on a retrouvé des instruments d'écoute et d'espionnage à bord du Eagle S.
Traduit et adapté par Valentine Zenker