On le sait, dans la royauté, tout est question d'hérédité. La preuve: pas besoin de faire passer 1000 entretiens d'embauche pour dégoter l'organisateur parfait pour le tout premier couronnement britannique depuis plus de 70 ans. L'homme est déjà tout désigné. Depuis sa naissance. Et ça simplifie les choses.
Cet oiseau rare, c'est Edward William Fitzalan-Howard, plus connu sous le titre de 18e duc de Norfolk. «Eddie», pour les intimes.
Qu’il le veuille ou non, en moins d'un an, Edward a dû organiser un jubilé de platine, des funérailles nationales et un couronnement. Comme quoi, décider à quel rang placer le prince Harry dans l'abbaye de Westminster ou dessiner l'itinéraire de la dépouille d'Elizabeth depuis le fin fond de l'Ecosse, c'est moins une question de CV que de patrimoine génétique.
Tout ça à cause d'un titre honorifique que se transmettent les Fitzalan-Howards de père en fils depuis des siècles: la fonction de «comte maréchal», qui implique de superviser de tous les grands évènements royaux.
Heureusement, les Fitzalan-Howards assurent. Leur lignée, pour commencer. On peut remonter l'arbre à l'an 1000 et Edouard le Confesseur. Entre deux, ils ont manigancé, copiné, assassiné, mais aussi marié plusieurs de leurs filles aux membres de la famille royale - quitte à ce qu'elles se fassent décapiter.
Et puisque toutes ces manœuvres politiques ne laissent que peu de temps pour les déménagements, le clan campe sur son territoire et son château d'Arundel depuis 850 ans.
C'est au cœur de ces milliers d'hectares de forêts du Sussex que le petit Eddie fait ses premiers pas. Avant de perdre son énergie et ses cheveux à cause de ses obligations royales, le «second célibataire le plus convoité du Royaume-Uni», derrière le prince Andrew (ew!), a eu tout le loisir d'étudier les Lettres à Oxford, gérer deux entreprises de bouteilles de gaz et de menuiserie, et se shooter à l'adrénaline sur les pistes de ski et les circuits de Formule 1.
En 2002, adieu la légèreté de la jeunesse dorée. Son père décède subitement. Eddie, 45 ans, doit faire honneur au patriarche qui se vantait d'avoir organisé «la traversée du Rhin, pendant la Seconde Guerre mondiale, en 24 heures». En comparaison, disait encore papa, «les funérailles de la reine seront un jeu d'enfant». Et vlan.
Edward le sait: il va devoir enterrer Elizabeth un jour venu et, contrairement aux piques de son paternel, ce ne sera pas de la tarte.
La semaine suivante, le nouveau maréchal planche déjà sur les «obsèques du siècle». En 2002, son équipe compte 20 personnes. En avril 2022, cinq mois avant le décès de la reine, 280.
Il faut dire que l'organisation des funérailles des monarques n'a pas toujours été aussi bien anticipée. A la mort de la reine Victoria, en 1901, le maréchal de l'époque n'a strictement rien prévu. Du transport du corps depuis l'île de Wight à la procession militaire impliquant des milliers de personnes, tout sera organisé en urgence, à partir de zéro, en moins de dix jours.
Depuis, les obsèques des souverains sont planifiées longtemps à l'avance - et les maréchaux vivent un peu plus longtemps.
De son sens du timing, Edward sera bien récompensé. Il parvient non seulement à se ménager du temps pour la réinstallation du Courlis cendré, le plus grand échassier d'Europe, dans son habitat naturel du sud de l'Angleterre, mais aussi à organiser des funérailles parfaites, dignes de la reine disparue. Rien à redire.
Pour la peine, il reçoit même un tout nouveau titre nobiliaire. En pleine frénésie des obsèques de la reine, Edward est fait chevalier par Charles III en personne, au terme d'une «brève et discrète» cérémonie dans une arrière-salle du palais de Buckingham.
Le comte de 66 ans méritait bien un susucre avant de se jeter dans l'organisation du plus vaste casse-tête de l'histoire moderne. Un savant mélange de «tradition» et de «modernité», de «faste grandiose» et de «contrôle des coûts», qui implique notamment de réduire la liste des invités de 8000 à 2000 convives.
On ignore s'il est en train de rayer un nom de la guest-list ce 7 avril 2022, lorsque Edward grille un feu rouge, trop occupé à pianoter sur son téléphone portable. Aux officiers, il affirme être «en pleine communication avec sa femme». L'organisation d'un couronnement pour obtenir une dérogation ne trouvera pas grâce aux yeux des juges.
Il faut croire que le 18e duc de Norfolk a le goût du défi. A un retrait de permis de six mois, il ajoute une procédure de divorce houleuse et de fraîches fiançailles.
C'est peu dire que la vie amoureuse de ce bon catholique est trépidante: 35 ans de vie commune avec son épouse Georgina Gore, cinq enfants (largement de quoi assurer la lignée) et une première séparation en 2011. La rupture sera si acrimonieuse que le couple, incapable de se trouver dans la même pièce plus de deux minutes, manquera le mariage du prince William et de Kate Middleton. Au plus grand regret d’Elizabeth, qui les adore.
Cinq ans plus tard, à la surprise générale, Edward et Georgina remettent le couvert. Ils finiront par abdiquer et finaliser leur divorce en août 2022.
Comme tous bons nobles qui se respectent, le duc et son ex ont pris sur eux: ils ont cohabité quelques mois dans le vaste château d'Arundel - mais dans des ailes séparées.
Heureusement, cette colocation plus ou moins forcée avec son ex-femme n'a pas empêché le preux chevalier de retrouver l'amour, en la personne de Francesca Herbert, «Chica», mondaine de son état.
Le couple a déjà temporairement quitté le siège familial ancestral pour s'établir dans une ferme «plus confortable» à proximité. Une stabilité bienvenue alors que le comte maréchal s'apprête à superviser l'évènement royal de sa vie.
Sous l'œil sévère, peut-être, de son grand-père disparu, le 16e duc de Norfolk, planificateur du sacre de la reine en 1953 et des funérailles de Sir Winston Churchill, en 1965. Personne n'a dit qu'un héritage, c'était facile à porter.