A Londres, ce matin du 6 mai 2023, il pleut.
Pendant que le petit peuple s'entasse sur les trottoirs humides de la capitale, plus ou moins protégé sous des chapeaux et des parapluies aux couleurs de l'Union Jack, tout le gratin politique, méritocratique, aristocratique et diplomatique prend place dans l'abbaye de Westminster.
Alors que tout ce beau monde joue des coudes pour trouver son siège, fin prêt à se tourner les pouces encore 40 minutes, le carrosse clinquant de Leurs Majestés Charles III et Camilla s'élance à l'assaut du bitume, direction Westminster. C'est parti mon kiki!
A moins d'être fan des chevaux ou des uniformes militaires, vous n'avez pas raté grand-chose.
Pendant que Charles adresse des coucous depuis son inconfortable carrosse, les minor royals, membres non actifs et autres disgraciés de la famille royale, se glissent au cœur de l'abbaye. Les nièces du roi, le duc de York, Andrew, et enfin (!) le ô combien attendu duc de Sussex, Harry. Un sourire timide et Monsieur s'en va rejoindre son troisième rang, sans trop crâner (il faut dire qu'il commence à avoir le caillou sérieusement dégarni).
La procession du roi entre dans sa dernière ligne droite. Dix minutes avant le début de la cérémonie, le carrosse royal se gare devant Westminster. La reine, immaculée, s'extirpe gracieusement, délicieuse dans sa robe d'argent, portée par Elizabeth lors de son propre sacre, en 1953.
Quelques minutes plus tard, voici venus le prince et la princesse de Galles, «très formellement vêtus» dixit les journalistes de la BBC, accompagnés de leur adorable marmaille.
Sous son diadème de déesse grecque, Kate embrasse la plèbe de son sublime regard de tueuse.
Arrive enfin l'homme du jour. Le roi Charles, sans collants de soie, ni jupe bouffante, mais tout enrobé d'hermine et de sa looooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooongue robe d'Etat.
Est-ce qu'il transpire? Dieu seul le sait. On peut juste miser sur le fait qu'il n'a pas froid.
Alors oui, c'est dense. Dorures, broderies, froufrous, paillettes, chants mélodieux et décorum solennellement mélodramatique. On frise la crise de diabète cérémonielle. Difficile, toutefois, de ne pas être traversé d'un petit frisson pour Charles. A quoi pense-t-il, le nouveau roi?
Justin Welby, archevêque de Cantorbéry, patron de l'Eglise anglicane et négociateur en chef des pourparlers entre le roi et le prince Harry, ouvre la cérémonie. Lui qui a passé des mois à «rêver qu'il oubliait la couronne» le jour J, on peut supposer qu'il transpire un peu.
Place au serment. Charles jure fidélité à Dieu, la Couronne, le Royaume, les Sujets et tout le toutim. Entre deux alléluias, le premier ministre Rishi Sunak fait une brève allocution, comme le veut la coutume.
Chaque pas est millimétré, maîtrisé. Pas le moindre garçon de chœur à taches de rousseur pour s'encoubler dans la moquette, ou une once d'hésitation pour perturber cette savante chorégraphie. C'en est terrifiant de perfection. Sur fond de gospel excessivement cool, on s'échange bibles, vieux livres et articles liturgiques millénaires. Le fameux cocktail de «tradition et de modernité» tant promis.
Moins d'une heure après le début du service, c'est le moment du fameux strip-tease royal. Sur l'hymne de couronnement Zadok the priest, Charlie se dévêt de sa robe royale. C'est le moment le plus sacré de la cérémonie: l'onction. Si sacrée que personne, PERSONNE, ne doit la voir. Là, ça se passe entre Dieu et le roi.
Une fois son front enduit de l'huile sacrée, le roi enfile la «Supertina», manteau de métal doré extrêmement lourd. Sans même une grimace, il prend place sur le trône pour se voir présenter les régalia (objets symboliques de la royauté): épée et anneau de couronnement, bracelets, orbe.
Assisté de son fils aîné, Charles endosse la «robe royale», ou plus sobrement «manteau impérial». Comptez quatre kilos pour cette cape de velours violette, longue de plusieurs mètres. On lui transmet également l'unique gant de couronnement, le sceptre et le bâton - le kit indispensable de tout nouveau roi qui se respecte.
Ça y est. «Le moment de la couronne est venu!», jubile le présentateur de la BBC. En silence, John Welby (qui, thanks God, n'a pas oublié l'accessoire à la maison) dépose la couronne de Saint-Edouard sur le crâne de Charles.
L'hymne résonne dans Westminster.
Charles III est roi.
Son matériel royal a beau peser une tonne, la tête du monarque ne vacille toujours pas, lorsque son héritier et fils aîné, le prince William, ploie le genou pour lui jurer allégeance, fidélité et plus si affinités. L'archevêque Justin Welby invite ensuite l'Humanité dans sa globalité, si elle le souhaite, à l'imiter - pas sûr que son appel trouve grâce aux yeux des anti-monarchistes.
Arrive le moment de couronner Camilla, reine consort et épouse de Charles depuis 18 ans, avec la couronne de la reine Mary, 2200 diamants au compteur. Là, juré, on a failli verser une petite larme quand Camilla sourit à son homme en mode «Hell yeah baby, we did it».
Et comme on n'a pas droit à un couronnement tous les quinze jours, l'archevêque John Welby dégaine une seconde couronne pour Charles: la «couronne impériale», de son petit nom, 1,06 kilo. La cérémonie touche au but, le roi et la reine s'éclipsent discrètement pour un ultime changement de tenue.
Si vous avez boycotté le couronnement pour la simple et bonne raison que Charles a renoncé aux collants de soie, sachez qu'il n'a pas pu faire l'impasse sur les rubans de satin et la tunique brillante et violette.
Au terme de deux heures d'office, le roi Charles, troisième du nom, émerge de l'abbaye de Westminster pour rejoindre son carrosse doré. La pluie tombe alors que démarre la plus grande parade militaire organisée depuis 70 ans au Royaume-Uni. Après une procession millimétrée, un concert de cornemuse très excitant et l'indispensable coucou au balcon, la cérémonie de couronnement s'achève.
Longue vie au roi. Allez, c'est l'heure d'une petite part de quiche!