La Floride de Trump craint une invasion
Dans l’un des quatre ascenseurs qui nous hissent à toute vitesse jusqu’à notre petit condo du 26e étage, un t-shirt bleu attire très vite notre attention. Dessus, des étoiles typiques à l’approche d’une élection américaine, mais aussi un visage qui nous est parfaitement inconnu. Soudain, le propriétaire dudit t-shirt s’adresse à nous, en anglais.
A l’entendre, il s’agit de voter pour Ken Russell, le 4 novembre prochain, «afin que Miami redevienne une ville abordable pour ses habitants» et que «la corruption y soit chassée» d’un grand coup de sabot démocrate.
A peine le speech politique terminé, bref, mais racé, nous sommes contraints de le décevoir en lui annonçant que nous sommes Suisses. La motivation de notre interlocuteur est malgré tout compréhensible: Ken Russell, un élu démocrate de 52 ans ayant échoué au pied de plusieurs élections nationales, doit se mesurer à 12 (!) adversaires pour espérer remporter les clés de la Ville et succéder au maire républicain Francis X. Suarez, qui ne peut plus se représenter.
L’embouteillage de candidats fait que l’élection municipale devrait, selon toute vraisemblance, se jouer lors d’un second tour en décembre. Cependant, ici en Floride, tous les yeux semblent rivés sur un autre scrutin important, celui de la capitale financière de la côte est.
New York, qui voit le candidat démocrate socialiste Zohran Mamdani survoler les sondages et faire couler beaucoup d’encre, est ni plus ni moins que le petit laboratoire national et le test en modèle réduit des élections de mi-mandat, qui auront lieu dans pile une année.
Pour le parti démocrate, mais pas que.
L’enjeu est de taille. Et pas seulement en raison des multiples déboires et polémiques qui collent aux fesses du maire actuel, Eric Adams. Si Zohran Mamdani venait à remporter la Ville, porté dès le début de la campagne par les jeunes citadins branchés des quartiers les plus bouillonnants, les démocrates auraient là de quoi gribouiller un début de stratégie nationale pour les mois à venir.
Or, New York est également le berceau financier d’un célèbre homme d’affaires qui, désormais président pour la seconde fois, en a fait sa cible la plus importante, après la Californie de Gavin Newsom. Pour faire court, le gourou MAGA a déjà menacé la ville de lourdes représailles si ses habitants venaient à élire ce «communiste», au lieu d’Andrew Cuomo, ancien gouverneur de l’Etat de New York visé par de nombreuses «accusations d'inconduite sexuelle».
Bonjour l’ambiance.
Trump est surtout l’un des nombreux New-Yorkais à avoir fui Manhattan pour les grands espaces, les palmiers et les alligators du sud du pays. D’autant plus depuis la pandémie. La Floride est devenue le grand réceptacle de citoyens de la côte est attirés à la fois par la puissance du soleil et la douceur fiscale, offrant par la même occasion à l’Etat du républicain Ron DeSantis un véritable shoot économique.
Notre interlocuteur de l’ascenseur l’a d’ailleurs bien compris. Depuis que Miami est une piste d’atterrissage rêvée (et engorgée) pour les Américains qui ont de l’argent, ses habitants historiques crient famine - auquel s'ajoute, par là-dessus, le shutdown de l’administration. Mais c’est également une arme électorale pour les élus républicains de Floride, qui n’arrêtent pas de prédire à New York le grand exode.
Greg Steube, sur X
If you thought the influx of New Yorkers to Florida was extreme during COVID, just wait until this guy gets elected. https://t.co/D4gAanlX4d
— Congressman Greg Steube (@RepGregSteube) October 27, 2025
Un cri d’alarme (politique) qui se propage comme une traînée de poudre. Selon un sondage réalisé par JL Partners, commandé par le média conservateur Daily Mail, New York serait menacée par le départ d’une population équivalente à celles de Washington DC, Las Vegas ou Seattle.
commandé par le Daily Mail
«Si un nombre aussi important de personnes quittaient réellement la ville, l'impact économique serait considérable, analyse le sondeur, avant de préciser le résultat de son étude: les New-Yorkais âgés, les habitants de Staten Island et les électeurs blancs sont les plus susceptibles à envisager de faire leurs valises».
Si ces chiffres astronomiques sont à prendre avec des pincettes, la Floride est bel et bien le 2e Etat privilégié par les New-Yorkais sur le départ, juste derrière le Texas, nous rappelait le NYT il y a quelques mois. En 2023, plus de 70 000 habitants de la Grosse Pomme avaient emménagé le Sunshine State, sur les 7 millions d’Américains ayant déménagé dans un autre Etat cette année-là. A noter que, sur la même période, l’Etat de New York avait perdu 186 533 habitants, à peine moins que la Californie.
Il faut également prendre cette menace comme une tentative désespérée des conservateurs d’inverser la tendance, à la dernière minute et à la manière de Trump lundi soir, tant Zohran Mamdani a le champ libre, quelques heures avant le scrutin.
Les républicains ne sont pas les seuls à prédire que le programme très ambitieux du peut-être bientôt premier maire musulman de New York pourra avoir de véritables conséquences, exagérées ou non. Sans leadership et lignes claires depuis la victoire de Trump il y a une année, le parti démocrate pourrait payer cher l’échec du socialiste.
Sur ce coup, le gouverneur de Floride a raison lorsqu’il prévient que, «dès qu‘il sera élu, si cela se produit, il sera le démocrate le plus en vue d'Amérique». Même son de cloche du côté de Miami, où l’espoir règne:
Ce mardi 4 novembre, une dynamique similaire se joue finalement entre les deux Etats que tout oppose. Et qui dépasse le simple risque d’un exode des déçus de Mamdani au sud.
D’un côté, une mairie de Miami que les démocrates rêvent de reconquérir, alors qu’ils utilisent aujourd’hui la Floride pour pointer ce qui ne fonctionne pas dans le reste du pays (avortement, système de santé, armes). De l’autre, une mairie de New York que les républicains refusent de voir tomber en main «communiste». Premiers résultats dans quelques heures.
