Il s’appelait Thomas, il avait 16 ans, il était capitaine d'une équipe junior de rugby. Il a été tué d’un coup de couteau dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 novembre, lors d’un bal à Crépol, un village de 500 habitants, dans la Drôme. Depuis, Marion Maréchal, tête de liste de Reconquête aux élections européennes de 2024, se demande si la France ne va pas sombrer dans la «guerre civile». Guère plus rassurante que le parti d’extrême droite fondé par Eric Zemmour, la majorité présidentielle parle – cela ne date pas de ce dernier «fait divers» – de «décivilisation» (Emmanuel Macron) et d’«ensauvagement» (Gérald Darmanin).
Vingt kilomètres. La distance qui sépare le lieu du drame de la ville la plus proche, Romans-sur-Isère, d’où le tueur présumé est venu cette nuit-là accompagné de neuf autres individus, alors qu’aucun d’eux ne figurait sur la liste des 400 participants inscrits au bal, organisé dans la salle des fêtes de Crépol. A ce stade de l’enquête, les dix suspects, sept majeurs et trois mineurs, sont poursuivis pour «meurtre» et «tentatives de meurtre en bande organisée».
On ignore leur mobile, mais certains croient le deviner: des «racailles» sont venues «planter» des «Blancs» – Thomas n’est pas la seule victime, deux autres jeunes gens, de 23 et 28 ans, eux aussi atteints de coups de couteau, ont été hospitalisés en urgence absolue. Selon l'avocat de quatre des suspects, «tous ne venaient pas pour en découdre», certains voulaient participer à la fête.
Il est environ 2 heures du matin lorsque la situation dégénère. La dizaine d’individus non invités se présente à l’entrée de la salle des fêtes, au moment où le bal touche semble-t-il à sa fin. Une altercation éclate avec l’un des quatre vigiles, qui sera blessé aux doigts par le tranchant d’une lame. Des participants au bal lui viennent en aide. C’est à partir de ce moment que d'autres coups de couteau sont donnés. Le ministère public parle de «rixe», mais aussi d’«expédition». Il ne confond pas agresseurs et agressés. Des témoignages recueillis par la presse l’affirment: sans la présence des vigiles, qui ont fait barrage comme ils l’ont pu, le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd.
Les personnes présentes au bal ne veulent pas qu’on dise qu’il y a eu «rixe» ou «bagarre». Cela laisserait entendre que les torts sont partagés. «Ce sont des gens qui sont venus tuer d'autres gens», affirme Martine, citée par France Bleue.
Les agresseurs étaient armés de couteaux de «20 à 25 cm», ils ont jeté des «pierres», frappé avec des «barres de fer», relate-t-on encore. Un cauchemar. Un règlement de compte? L'enquête étudiera cette piste.
Mercredi, à Romans-sur-Isère, une marche blanche réunissant environ 6000 personnes a rendu hommage à Thomas, le lycéen de 16 ans décédé. «Thomas, on t’aime», «Justice pour Thomas», «Thomas repose en paix», pouvait-on lire sur de larges banderoles, l’une d’elles représentant l’adolescent souriant et faisant un cœur avec ses mains.
Les organisateurs avaient appelé à un rassemblement «apolitique par respect pour la famille», quand, de son côté, Eric Zemmour dénonçait un «francocide» et qu’à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national et une partie de la droite liaient immigration et insécurité. Emmanuel Macron évoquait un «terrible assassinat», introduisant par là même la notion de préméditation.
Vingt kilomètres. La distance kilométrique entre Crépol et Romans-sur-Isère a une importance symbolique. Elle était censée mettre à l’abri les participants au bal des dangers de la ville, ou plutôt du «quartier». Il n’en a rien été. Hormis l’auteur présumé du coup mortel, âgé de 20 ans, de «nationalité française» et résidant au centre de Romans-sur-Isère, ses comparses seraient tous issus de la cité voisine de La Monnaie, considérée comme un foyer de délinquance. L’un des participants à la marche blanche, un retraité, disait y avoir habité et qu’elle avait bien changé, en mal. Il en était parti.
C’est l’un des arguments de la droite identitaire, qui s’appuie sur des données en soi non orientées politiquement: nombreux sont ceux qui ont déménagé de quartiers devenus plus ou moins invivables pour s’installer quelques kilomètres plus loin à la campagne, pensant y trouver la tranquillité. Toute la démonstration du Rassemblement national est dans cette «fuite» qui serait devenue illusoire, l’insécurité gagnant désormais la ruralité.
La tentation est grande de faire porter à la seule extrême droite le poids de tout questionnement dérangeant. Des comparaisons sont faites entre les émeutes qui ont suivi en juin dernier la mort de Nahel (tué à bout portant par un policier) et le calme des proches de Thomas. Entre la minute de silence accordée à l’époque par l’Assemblée nationale à la mémoire de Nahel et l’absence d’un tel moment pour celle de Thomas, du moins pour l’instant. Entre la compassion exprimée à Nahel par des stars du sport et le silence des mêmes pour Thomas – l'une d'elles, l'ancienne gloire du rugby Philippe Saint-André, qui avait joué dans même club que Thomas et fréquenté le même bal lorsqu'il était jeune, a fait part de toute sa «douleur» sur BFMTV. Comparaison, encore, entre ceux qui «respectent les institutions de la République» malgré leur peine, et ceux qui les «attaquent» au nom de la douleur.
Quant à l'actuel gouvernement, comme les autres avant lui, il fait face à un dilemme: mobiliser la pompe républicaine pour un «Blanc», quand son ou ses meurtriers présumés sont peut-être «noirs» ou «arabes», serait comme accréditer l’existence d’un racisme dont la victime est le «Blanc». Risqué, car ce serait admettre que les «Blancs», bien que majoritaires, ne sont pas en sécurité «chez eux».
Des dix suspects arrêtés à la suite du drame de Crépol, on sait que certains ont un casier judiciaire. Le meurtrier présumé avait interdiction de détenir une arme.
A la marche de mercredi pour Thomas, un homme, ancien rugbyman, estimait que «ces jeunes», ceux qui ont fait un mal fou le week-end dernier à Crépol, et ceux qui comme eux sont certainement désocialisés, devraient intégrer des équipes de rugby pour en partager les valeurs. C'est ce qui s'appelle tendre la main.