Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo était frappée par un attentat meurtrier. Un acte perpétré en réaction à la publication de caricatures jugées blasphématoires.
Dix ans plus tard, la question du blasphème reste au cœur des débats sur la liberté d'expression et la protection des sensibilités religieuses. Les législations mondiales reflètent des approches variées, oscillant entre dépénalisation et renforcement des sanctions. On fait le point.
Le blasphème se définit généralement comme une parole ou un acte qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme sacré. Cette notion varie selon les cultures et les époques, et c’est notamment les différentes interprétations qui influencent directement les législations en vigueur.
En France, par exemple, le blasphème n'est pas un délit, conformément à la tradition laïque du pays. Ce qui signifie que les caricatures faites par le journal Charlie Hebdo ne sont pas pénalement répréhensibles. Cependant, des propos incitant à la haine religieuse peuvent être sanctionnés.
L’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, l’enseignant qui avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, a aussi relancé le débat. Car en France, si le blasphème n’est pas une notion juridique, le droit de l’exercer est consacré par la loi. Un article qui rend fiers de nombreux Français, très attachés au principe de liberté d’expression. La loi date de 1881.
La Suisse, contrairement à la France, n’est pas un Etat laïque. Les relations entre l’Etat et les religions varient même selon les cantons, certains allant jusqu'à reconnaître des Eglises officielles.
En matière de blasphème, la Suisse ne criminalise pas directement les critiques religieuses, mais la législation sanctionne les actes incitant à la haine ou à la discrimination basée sur l’appartenance religieuse.
Un exemple récent illustre les tensions: Sanija Ameti, une politicienne zurichoise, a publié il y a quelques mois une vidéo sur les réseaux sociaux où elle tire sur une cible représentant un portrait de Marie et de Jésus.
Une mise en scène qui avait suscité un tollé, certains critiquant un acte de provocation gratuite, d’autres défendant une liberté symbolique. L’épisode révèle les tensions sous-jacentes entre liberté d’expression et respect des sensibilités religieuses dans une société plurielle.
Parmi les Etats laïcs, on compte la France, les Etats-Unis, le Mexique, et la Turquie. Ces pays garantissent théoriquement une stricte séparation entre l’Etat et la religion, bien que les interprétations de la laïcité diffèrent d’un pays à l’autre.
Car en Turquie, le blasphème est, de facto, réprimé par des lois pénalisant les actes considérés comme offensants pour les valeurs religieuses ou nationales. Ces dispositions ont souvent été employées pour sanctionner des critiques à l’égard de l’islam ou du gouvernement. En particulier sous le régime d'Erdogan, où les accusations de blasphème ont augmenté, reflétant une islamisation progressive de l’espace public.
En Europe, plusieurs pays ont modifié leur approche du blasphème au cours de la dernière décennie. Le Danemark, par exemple, a abrogé sa loi sur le blasphème en 2017, autorisant ainsi des actes auparavant interdits, comme la critique ouverte des religions.
Cependant, en 2023, le gouvernement danois a proposé une loi interdisant la profanation publique de textes religieux sacrés, notamment le Coran, en réponse à des incidents de destructions publiques par le feu qui ont suscité des tensions diplomatiques. Cette initiative, vue par une partie des Danois comme un aveu d’échec face à la montée des tensions, vise à prévenir les troubles à l'ordre public tout en jonglant entre liberté d'expression et respect des croyances religieuses.
Certains pays ont adopté des législations ciblant spécifiquement l'incitation à la haine religieuse. Au Royaume-Uni, par exemple, bien que les lois sur le blasphème aient été abolies en 2008, des dispositions légales subsistent pour sanctionner les discours incitant à la haine religieuse, protégeant ainsi les individus plutôt que les croyances elles-mêmes. C'est le cas dans de nombreux autres pays.
En dehors de l’Europe, de nombreux pays maintiennent des lois strictes contre le blasphème. Au Pakistan, par exemple, le blasphème est passible de la peine de mort. Selon la Commission nationale pour la justice et la paix, 774 musulmans et 760 autres personnes issues de groupes religieux minoritaires ont été accusés de blasphème au cours des 20 dernières années.
Dans ce pays musulman, les tribunaux n'ont parfois même pas le loisir de faire leur travail: la foule se charge de «rendre justice». C'est ce que rapporte le New York Times, qui relate l'histoire d'une femme pourchassée jusque dans un commerce. Son tort? Elle portait une robe sur laquelle était inscrit le mot «Halwa», signifiant «doux» ou «beau». La foule, qui ne connaissait pas sa signification, ont pris ce texte pour des versets du Coran et appelé à sa décapitation. La femme doit son salut à l'intervention d'une policière.
"ASP Syeda Shehrbano Naqvi, the brave SDPO of Gulbarg Lahore, put her life in danger to rescue a woman from a violent crowd. For this heroic deed, the Punjab Police has recommended her name for the prestigious Quaid-e-Azam Police Medal (QPM), the highest gallantry award for law… pic.twitter.com/awHaIGVb9l
— Punjab Police Official (@OfficialDPRPP) February 25, 2024
Au Nigéria aussi, le blasphème peut être puni de la peine de mort. C'est la sentence qui a été prononcée à l'encontre du chanteur Yahaya Aminu Sharif, le 10 août 2020, en raison d'une chanson jugée blasphématoire. Une condamnation annulée pour une cour d'appel, mais comme le souligne l'ONU, l'homme reste pour l'heure derrière les barreaux.
En Indonésie, le gouverneur chrétien de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama, connu sous le nom d'Ahok, a été condamné en 2017 à deux ans de prison pour blasphème, illustrant la rigueur des lois dans ce pays à majorité musulmane.
La question du blasphème soulève des débats complexes. Les attentats contre Charlie Hebdo ont ravivé ces discussions en France, mais aussi en dehors des frontières de l’Hexagone, mettant en lumière les tensions entre satire, critique religieuse et violence, et illustrant la difficulté de concilier liberté d'expression et respect des croyances dans un monde de plus en plus interconnecté, mais aussi de plus en plus polarisé.