Aller de l’avant. Ce pourrait être la devise de toutes les associations de quartiers en France. Originaire de Picardie, Loubna Bennazi œuvre depuis 20 ans à Authenti-Cité, à Nanterre, la ville où Nahel a été tué par un policier le 27 juin. La cité Pablo-Picasso, avec ses tours Nuages d’aspect si ludique, point de départ de la marche blanche en hommage au jeune homme décédé, sert de cadre de travail à cette mère de trois enfants.
La révolte devenue émeute est partie de là. «Des voitures ont brûlé sur la grande avenue, les commerces de la cité, tout comme les locaux associatifs, ont été épargnés», raconte-t-elle soulagée. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont été d’une rare violence à Nanterre, mais son fort maillage social a sans doute évité au chef-lieu du département des Hauts-de-Seine un bilan bien plus lourd en termes de dégradations: écoles et mairie sont restées intactes.
Aller de l’avant. Penser à l’après. «Cet été, on va participer à un procès reconstitué avec le collège Evariste Galois.» On est toujours à Pablo-Picasso. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la justice et la police sont au cœur des projets éducatifs. Les «clubs de prévention», les «médiateurs de la ville»: des structures et un vocabulaire qui témoignent des efforts consentis pour prévenir la délinquance ou pour en sortir.
Cherchant des explications, désignant des responsables derrière les émeutes, le gouvernement a pointé du doigt l’absence d’autorité parentale et soulevé le cas des mères seules, autrement dit, l’absence des pères. «Dans le secteur où je travaille, qui ne couvre pas seulement la cité Pablo-Picasso et qui fait en tout 23 000 habitants, environ 20% des foyers sont des mères seules», rapporte Loubna Benazzi.
«Elles travaillent, élèvent leurs enfants, en moyenne trois par foyer, dans de bonnes conditions, autant que faire se peut», ajoute la travailleuse sociale, qui refuse de donner une «image misérabiliste» de la population qu’elle côtoie quotidiennement. Les aides accordées par les pouvoirs publics ne manquent pas: allocations logement, allocations mère isolée, on y revient, d’autres encore.
N’empêche, le risque de verser dans la délinquance augmente avec le défaut d’encadrement familial. Si l'on ajoute à cela le décrochage scolaire et la perspective d’emploi qui s'éloigne...
Nahel, lui, a été élevé par sa mère, sans père, lequel vient de réapparaître pour se porter partie civile dans la procédure judiciaire pour homicide volontaire. Connu des services de police pour «refus d’obtempérer» et «conduite sans permis», mais un casier judiciaire vierge, Nahel avait des problèmes d’insertion, comme cela arrive à son âge. Il n'allait plus en cours de CAP électricité.
Loubna Benazzi se désole du désintérêt autour d'elle pour les professions manuelles:
Les points de deal à Pablo-Picasso ? «Il y en a, on fait avec», répond Loubna Benazzi. La travailleuse sociale tient le coup.
Aller de l’avant, c'est aussi voir chez les «jeunes» ce qu’ils ont de meilleur en eux. «Le week-end dernier, ils ont distribué 300 colis alimentaires», raconte celle qui a vingt ans de présence dans la cité.
Aziz Senni est né il y a 46 ans au Val-Fourré, qui reste la plus grande cité de France, à Mantes-la-Jolie, dans le département des Yvelines, en grande région parisienne. Il n’y habite plus. L’homme a réussi professionnellement. Il est devenu chef d’entreprise et ne cesse de militer pour une réelle mixité ethno-sociale dans les quartiers populaires. Il a de l’admiration pour les mères qui élèvent seules leur(s) enfant(s) et plaide pour plus de crèches en cités.
Libéral en économie, Aziz Senni ne décolère pas contre ce qu’il reste selon lui de l’«idéologie soixante-huitarde» dans le paysage politico-médiatique. Contrairement aux députés de La France insoumise, qui ont saisi la justice, il approuve des deux mains le «deux claques et au lit» préconisé par le préfet de l'Hérault, en rapport avec la «responsabilité» des parents dans les émeutes.
Si les bâtiments publics et commerces de la cité Pablo-Picasso ont semble-t-il échappé à la vindicte des émeutiers, ce n’est pas le cas de l’annexe de la mairie de Mantes-la-Jolie au Val-Fourré, qui a été incendiée. «Les commerces de la cité n’ont pas brûlé, mais certains ont été cambriolés à la faveur des émeutes. Pas de chance pour les voleurs, ces commerces appartiennent à des anciens de la cité, de mon âge. Un rappel à l’ordre, que je vous laisse deviner, a été effectué pour passer l’envie de recommencer», relate Aziz Senni. Le préfet de l’Hérault aurait sans doute approuvé.