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Fête de l’Aïd à Gaza: entre soupe populaire et incertitude

Fête de l’Aïd à Gaza: entre soupe populaire et incertitude
Le prix de la viande est devenu inabordable pour l'ensemble de la population à Gaza, dont la survie dépend des interventions de l'aide humanitaire.Image: Enas Tantesh

La plus grande fête musulmane devient une épreuve de survie à Gaza

Dans la bande de Gaza, nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se permettre d’abattre un animal pour l’Aïd, la plus grande fête musulmane. A la place des célébrations festives, beaucoup sont obligés de se rendre aux soupes populaires, souvent lacunaires.
07.06.2025, 19:0807.06.2025, 19:08
Malak Tantesh, bande de gaza et Lisa Schneider, berlin / ch media
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Ashraf al-Sawwaf raconte que, chaque année, pour l’Aïd-el-Kébir, la grande fête musulmane qui célèbre le sacrifice d'Ibrahim, il achète un mouton, l’égorge et mange sa viande avec sa famille. Il achète aussi de nouveaux vêtements à ses enfants et leur offre des cadeaux, comme le veut la tradition pour la fête la plus importante de l'année islamique.

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Des vies chamboulées, des familles déplacées

L'année dernière déjà, tout a changé. Al-Sawwaf est originaire du nord de la bande de Gaza, il avait alors été expulsé vers le sud avec sa famille:

«Nous ne pouvions tout simplement pas nous le permettre financièrement. Et cette année encore, nous ne mangerons pas de mouton»

Lors de la fête de l'Aïd-el-Kébir, qui a débuté jeudi, les musulmans commémorent le prophète Ibrahim (Abraham dans la tradition judéo-chrétienne): Dieu lui a ordonné de sacrifier son fils; lorsqu’il vit qu'Ibrahim et son fils étaient prêts à le faire, il les en a empêchés et Ibrahim a sacrifié un mouton à la place. En souvenir de cela, ceux qui en ont les moyens égorgent un animal lors de la fête de l’Aïd.

Hammam al-Zarqa affirme avoir réalisé son meilleur chiffre d'affaires de l'année avant la fête de l’Aïd, juste avant la guerre. Avec sa famille, il élève des moutons, des chèvres, des vaches, des poules, des pigeons et des canards depuis plus de 20 ans. Ils exploitaient deux fermes dans le nord de la bande côtière avant le 7 octobre 2023, date à laquelle la guerre a commencé dans la bande de Gaza après l'attaque du Hamas dans le sud d'Israël.

Ils ont déjà dû fuir six fois à l'intérieur de la bande de Gaza : Ashraf Al-Sawwaf et sa petite-fille.
Ashraf Al-Sawwaf et sa petite-fille. Ils ont déjà dû fuir six fois les bombardements à l'intérieur de la bande de Gaza.Image: Enas Tantesh

L'une, située près de la frontière, aurait été entièrement détruite. L'autre, dans le quartier d'al-Naqaf de la ville de Gaza, a également dû être évacuée au cours de la guerre et a été endommagée. Au total, sa famille a dû s'enfuir sept fois, confie al-Zarqa.

Les prix des moutons explosent

Entre-temps, la famille est retournée à al-Naqaf, où al-Zarqa a construit une étable provisoire: avec des toits en tôles, des bâches, des grilles métalliques et des planches en guise de clôture. Avant la guerre, il élevait plus de 500 moutons. Il raconte que certains animaux ont été tués ou volés lors des attaques aériennes, mais qu'il a pu en sauver d'autres, qu'il a ensuite vendus pendant le cessez-le-feu de mi-janvier à mi-mars.

L'éleveur Hammam al-Zarqa avec ses moutons.
L'éleveur Hammam al-Zarqa avec ses moutons.Image: Enas Tantesh

Al-Zarqa vend ses moutons vivants, et c’est l'acheteur qui les amène ensuite à l'abattoir. Une bête, dit-il, coûte actuellement 3000 dinars jordaniens, soit environ 3500 francs. Avant la guerre, le prix était d'environ 300 dinars, précise-t-il. «Qui peut encore se le permettre?», demande-t-il, avant de répondre lui-même:

«Des organisations internationales extérieures à la bande de Gaza»

Ces dernières les font ensuite distribuer à la population sous forme de dons.

Lui-même n'abattra pas de mouton pour la fête de l’Aïd. Parfois, lorsque des bouchers lui achètent des animaux, il les leur amène et leur prend un kilo de viande. Le repas de fête sera restreint pour lui, sa femme et ses 9 enfants.

Des soins médicaux hors de prix

al-Zarqa est conscient que ses prix sont élevés. Il n'a pas le choix, car les matières premières sont devenues quasi inabordables. Le fourrage est le plus gros problème. Les soins médicaux sont également devenus hors de prix, voire introuvables:

«Les prix ont au moins été multipliés par dix»

Adham Abu Hasira est lui aussi préoccupé par le prix des moutons. Il exploitait une ferme avec des moutons et des vaches, aujourd’hui détruite, l'armée israélienne ayant construit le corridor de Netzarim sur son ancien terrain. L'armée y est retournée depuis la fin du cessez-le-feu.

Adham Abu Hasira est boucher. La petite boucherie est la sienne.
Adham Abu Hasira est boucher. Le petit établissement est le sien.Image: Enas Tantesh

Sa ferme a été bombardée par l'armée de l'air israélienne, raconte-t-il, alors que les animaux étaient encore à l'intérieur. Il ne savait pas que la région devait être évacuée. Il témoigne:

«L'attaque a été un choc»

Il a fui avec sa famille vers le sud de la bande de Gaza. Pendant le cessez-le-feu, ils sont retournés dans le nord.

La boucherie d'Adham Abu Hasira.
La boucherie d'Adham Abu Hasira.Image: Enas Tantesh

Il n'était pas possible d'élever à nouveau des animaux. Les coûts pour reconstruire la ferme à un autre endroit étaient beaucoup trop élevés. Pendant le cessez-le-feu, Abu Hasira a ouvert une petite boucherie, sommairement aménagée. Il aurait voulu agrandir le magasin, en faire un restaurant. Mais la guerre a recommencé et coupé court à ses projets.

La pauvreté n'est pas le seul problème

Dans sa petite boucherie, un kilo de viande de mouton coûte aujourd'hui 240 shekels, soit près de soixante francs. Un mouton entier lui coûte jusqu'à 20 000 shekels, soit environ 6000 francs.

«Avant, nous pouvions facilement obtenir onze moutons pour un tel prix»
Adham Abu Hasira

Selon lui, le problème n'est pas seulement que les gens manquent d'argent. Dans la bande de Gaza, comme dans la plupart des endroits, il y avait avant la guerre une classe moyenne et une classe supérieure. Abu Hasira, sa famille et la plupart des habitants ont leurs économies sur leurs comptes bancaires, mais il leur est difficile d'y accéder. Et pour cause: les bancomats ne fonctionnent plus.

Une application de la Bank of Palestine, basée à Ramallah, en Cisjordanie, permet de transférer de l'argent à d'autres personnes, mais le retirer est beaucoup plus difficile et implique des frais de change considérables.

Dans les territoires palestiniens, plusieurs monnaies circulent: le shekel israélien, le dinar jordanien, mais aussi le dollar américain. Abu Hasira explique que de nombreux paysans venant lui livrer des animaux ne prennent que de l'argent liquide, qu'il a du mal à obtenir. La plupart de ses clients actuels sont des organisations humanitaires, confirme-t-il.

Ashraf al-Sawwaf, qui ne peut pas acheter d'animaux pour la fête de l’Aïd cette année, se rend chaque jour aux soupes populaires des organisations humanitaires. Il se confie:

«Si nous ne pouvons pas manger un repas là-bas, nous mangeons du gruau de blé le soir»

Dans le nord de la bande de Gaza, où al-Sawwaf a trouvé refuge sous une tente, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) ne distribue actuellement pas de nourriture. Dans le sud de la bande de Gaza, elle assume cette tâche depuis fin mai, sous les protestations des organisations humanitaires qui les accusent de ne pas respecter les normes humanitaires.

Des dizaines de morts lors des distributions

Après trois incidents près des centres de la GHF, au cours desquels des dizaines de personnes ont été tuées par balles selon les Palestiniens, l'organisation avait annoncé mercredi qu'elle réviserait son approche sécuritaire. Jeudi midi, selon le Times of Israel, un centre situé au sud de la bande de Gaza a rouvert ses portes, tandis qu'un autre restait fermé en permanence.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, tous les points de distribution de l'aide de l'ONU restent fermés dans toute la bande de Gaza. Les soupes populaires des organisations partenaires, auxquelles al-Sawwaf se rend par exemple, sont restées ouvertes jusqu'à présent.

Al-Sawwaf raconte avoir été déplacé six fois dans cette guerre. Pour Hammam al-Zarqa, ce serait une catastrophe s'il devait fuir une nouvelle fois:

«J'essaierais d'emmener tous les moutons avec moi. Mais il n'y a pas de camions ni de carburant, donc on serait obligés de marcher»

Il craint qu'ils ne se cassent quelque chose, qu'ils s'écroulent d'épuisement, qu'ils soient renversés par des voitures. «J'espère qu'ils seront tous vendus et abattus pour la fête de l’Aïd». Mais il espère encore plus la fin de la guerre, «et que les gens aient à nouveau la possibilité de simplement s'acheter de la viande».

Traduit de l'allemand par Anne Castella

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source: epa keystone / martial trezzini
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