«Ça m'a fait bizarre», dit Gia Japaridze. La semaine dernière, il y avait un nombre inhabituel de voitures devant son immeuble. Il y avait pourtant une place libre juste devant l'entrée. «J'ai vu un autre homme avec un sweat à capuche. Il m'a d'abord paru suspect, mais il est parti dans l'autre sens», raconte l'ex-diplomate. C'est pourquoi il l'a pris pour un voisin. Il a appris de sa carrière passée à être vigilant.
Alors qu'il se rendait de sa voiture à l'entrée du bâtiment, il a ressenti deux coups soudains. «Je me suis retourné et j'ai reçu un autre coup, avec une batte en bois», raconte Japaridze. Il n'a pas pu se défendre. «Ils étaient trop nombreux, deux, trois ou quatre. Je ne me souviens pas», dit-il à propos de ses agresseurs masqués. Après qu'il est tombé à terre, ils lui auraient donné des coups de pied et auraient continué à le frapper avec la batte. Après l'agression, il a été transporté à l'hôpital, où il a passé deux nuits.
L'attaque n'était pas un hasard. Il en est certain. Avant, il avait déjà reçu plusieurs appels téléphoniques menaçants.
Ils l'auraient insulté et menacé de mort. Japaridze était l'une des principales forces derrière les manifestations anti-régime de l'année dernière à Tbilissi, la capitale géorgienne.
Presque chaque semaine, il critique le parti prorusse au pouvoir «Rêve géorgien» à la télévision nationale. En outre, son frère est le président du parti d'opposition «Girchi». «Les groupes paramilitaires l'ont déjà pris en embuscade à trois reprises. Mais jusqu'à présent, il a pu se mettre à l'abri à chaque fois», explique Japaridze.
Activists, journalists and professors like @giajapar have been beaten by masked thugs in the past week. I asked Gia where he’d be as the foreign agents bill was voted on today - expecting the defiance of seen in the rest of our chat. I got this unexpectedly poignant response pic.twitter.com/Y3iwjkqfIU
— Heidi Pett (@heidipett) May 14, 2024
Depuis l'attaque, le professeur ne sort plus sans escorte.
Selon lui, ces unités sont financées par le parti au pouvoir.
Mais le professeur ne se laisse pas intimider par l'incident. «Ils m'ont attendu devant chez moi et m'ont frappé jusqu'à m'envoyer à l'hôpital. Le lendemain de ma sortie, j'étais de nouveau dans la rue», raconte-t-il. Hier soir aussi, il serait descendu dans la rue avec ses étudiants pour manifester contre la nouvelle loi sur les «agents de l'extérieur».
L'activiste a subi une commotion cérébrale suite à l'attaque. Il a également dû se faire recoudre. Actuellement, il est toujours sous traitement médical.
Malgré les protestations qui durent depuis des semaines dans les rues de la capitale géorgienne, le Parlement a adopté mardi la loi contre les «agents étrangers». Celle-ci stipule que les organisations non gouvernementales (ONG) qui reçoivent plus de 20% de leur argent de l'étranger devront désormais le déclarer. De nombreux projets de promotion de la démocratie en Géorgie sont soutenus par des Etats de l'UE ou par les Etats-Unis.
C'est le cas de l'ONG dont Japaridze est membre du conseil d'administration. La modification actuelle de la loi n'est que la première étape, craint le professeur de relations internationales. «Nous serons considérés comme des agents étrangers et ensuite – tout comme en Russie – il y aura des restrictions pour nous». Ainsi, les personnes concernées seraient probablement bientôt exclues des élections parlementaires, ou même privées du droit d'enseigner dans les établissements d'enseignement. «Je pourrais donc perdre mon emploi».
L'enjeu des manifestations de masse est donc bien plus important que la seule loi. «Il s'agit de l'indépendance de la Géorgie. Aujourd'hui déjà, nous sommes un Etat marionnette de la Russie», a déclaré Japaridze. Depuis douze ans, le parti «Rêve géorgien» gouverne ce pays candidat à l'adhésion à l'UE. Il est orienté vers la Russie et se montre de plus en plus autoritaire. Selon les sondages, près de 80% des Géorgiens souhaitent intégrer l'UE. Or, cette nouvelle loi pourrait compromettre cette adhésion.
Malgré l'adoption de la loi, abandonner n'est pas une option pour la plupart. «La protestation ne cesse de croître», déclare fièrement Gia Japaridze. Ce qui lui donne de l'espoir, c'est que la jeune génération est aussi dans la rue. «Pour moi, la liberté est le résultat de mon combat», avoue l'ex-diplomate, né en Union soviétique. Selon lui, les plus jeunes du pays sont nés dans un pays indépendant.
Il fait référence à Bidsina Ivanichvili, homme politique géorgien et fondateur de Rêve géorgien.
Video evidence - how the police beat a civilian#Georgia #NoToRussianLaw pic.twitter.com/9t8LQvefUU
— Mtavari TV (@MtavariChannel) May 10, 2024
«Je sais que nous allons continuer à nous battre», déclare Japaridze. Mais pour détourner la Géorgie de la voie prorusse, l'Occident doit offrir plus que de simples paroles de soutien, selon lui. «Nous avons besoin d'actions», commente-t-il. Par exemple, des sanctions et des interdictions de voyager pour les membres du parti au pouvoir et les membres de leur famille.
L'ancien premier ministre Irakli Garibashwili aurait même emmené son fils aux Etats-Unis à bord de l'avion d'Etat. «Ces gens sont extrêmement corrompus. Ils volent la nation géorgienne», a déclaré Japaridze.
Selon lui, il est illusoire d'espérer parvenir à un consensus en discutant avec le parti. Finalement, il vit depuis douze ans déjà le «cauchemar» que représente le parti au pouvoir. «Est-il possible de négocier avec un serpent?» demande Japaridze. Sa réponse: «La meilleure façon de se défendre contre eux, c'est de tuer le serpent». Comme en Ukraine, le sort de l'Europe serait actuellement en jeu à Tbilissi.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)