Du point de vue ukrainien, les attaques dans la région frontalière russe de Belgorod ont été un succès total. Pendant trois jours, le «Corps des volontaires russes» et la «Légion de la liberté de la Russie» ont fait la démonstration au maître du Kremlin. Le monde entier a pu constater que Moscou ne pouvait pas sécuriser ses frontières contre quelques dizaines d'assaillants.
Poutine a dû retirer en urgence des troupes d'Ukraine pour chasser les envahisseurs. Mais les néonazis de toute l'Europe ont sans doute aussi applaudi.
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Avec Denis Kapustin, qui s'est donné le patronyme de Nikitin, l'un des extrémistes de droite les plus connus du continent s'est présenté mercredi en Ukraine comme un combattant de la tyrannie russe. Pour ce militant, né en 1985 à Moscou, cette apparition a été un triomphe improbable qui pourrait encore s'avérer payant sur le plan politique. Improbable parce que Nikitina à jusqu'à présent plutôt agi dans la clandestinité.
En 2001, il est arrivé à Cologne avec sa famille en tant que réfugié juif contingenté – l'Allemagne facilite l'accueil des juifs dit «soviétiques» –, selon une enquête du Spiegel. L'authenticité de son origine juive pose des questions au vu de son admiration pour Hitler. Il a appris le goût de la violence dans le milieu des hooligans du FC Cologne. C'est dans ce monde qu'il s'est ensuite rendu lors de ses séjours à Moscou.
Nikitin a également séjourné à plusieurs reprises en Ukraine. Il y a noué des contacts avec le tristement célèbre mouvement Azov. Le régiment du même nom, qui s'est fait connaître dans le monde entier au printemps 2022 en défendant avec acharnement l'aciérie de Marioupol, était considéré jusqu'en 2014 comme le point de ralliement des néonazis ukrainiens. Avec l'intégration de la milice dans l'armée ukrainienne, la plupart des extrémistes de droite auraient quitté le régiment Azov.
Kapustin utilise les arts martiaux comme élément de liaison entre les néonazis de l'Ouest et de l'Est. Dans des clubs «d'arts martiaux mixtes», ils s'entraînent au combat de rue en vue de leur «jour X» espéré, l'effondrement de l'ordre démocratique. Lors de tournois et de combats en marge de concerts de rock de droite, les «sportifs» de toute l'Europe se mettent en réseau. Kapustin organise ces événements sous le nom de «White Rex» (roi blanc), un nom qu'il arbore sur sa casquette.
Le logo de «White Rex» forme une tête de Viking stylisée devant un «soleil noir» qui rappelle la croix gammée et sert de signe de reconnaissance aux néonazis. Sur les T-shirts de la marque, on trouve des runes nazies interdites en Allemagne ou le chiffre 88 - un code pour «Heil Hitler». Le nom «White Rex» fait en outre référence à l'idéologie raciste de la fallacieuse supériorité d'une «race blanche». Cette idéologie s'est également répandue en Russie, bien que le pays ait lui-même été victime du racisme allemand pendant la Seconde Guerre mondiale.
Si Kapustin et d'autres Russes d'extrême droite se battent aujourd'hui contre Poutine aux côtés de l'Ukraine, c'est aussi parce qu'une idéologie raciste se cache derrière. C'est ce que l'on appelle l'ethnopluralisme. Ce terme signifie que chaque peuple doit rester sur son propre territoire et ne pas se mélanger avec les autres. Des régions indépendantes divisées par ethnies devraient être établies.
Les partisans de cette idéologie combattent Poutine parce que, selon eux, il lutte pour une Russie en tant qu'Etat multiethnique, et donc incluant les populations d'Asie centrale, qu'ils considèrent comme «inférieures». La lutte des Ukrainiens pour leur Etat-nation apparaît, en revanche, comme juste aux yeux des ethnopluralistes.
Il est possible que Kapustin finance sa vie dans l'extrême droite clandestine, non seulement par la vente de vêtements nazis, mais aussi par d'autres moyens. Selon le Spiegel, les enquêteurs allemands le soupçonnent d'avoir fabriqué des drogues chimiques. En Ukraine, il aurait également versé dans le trafic d'armes. En 2019, l'Allemagne a prononcé une interdiction d'entrée à l'encontre de cet homme. Un an auparavant, il avait déjà transféré son domicile en Ukraine. Il y avait été arrêté temporairement, mais les autorités auraient confisqué son passeport.
Kapustin n'en a de toute façon pas eu besoin pour son action en Russie. On soupçonne, toutefois, Kiev de ne pas avoir été aussi étrangère à l'attaque d'un poste-frontière et de plusieurs villages qu'elle l'a dit dans les déclarations officielles. Kapustin affirme en tout cas que le service de renseignement militaire ukrainien a accompagné et soutenu avec bienveillance l'action sur le territoire russe.
Mercredi, ses hommes du «Corps des volontaires russes» n'ont même pas caché leur idéologie fasciste à la presse réunie. Comme l'ont observé les journalistes du Spiegel, l'un des combattants avait épinglé sur sa poitrine la phrase «Thor est notre dieu du tonnerre» en allemand, un autre aurait porté un «soleil noir». On peut douter que Kiev se rende service avec de tels alliés.
Traduit et adapté par Noëline Flippe