Les pilotes ukrainiens qui nous accueillent n'aiment pas que l'on passe inutilement du temps à l'extérieur. Le risque est trop grand qu'un drone russe commence à s'intéresser à l'abri en terre à partir duquel les trois hommes opèrent. Leur repaire, qui est alimenté en électricité par un générateur, se trouve au milieu d'un système de tranchées tortueux. Il n'y a que quelques kilomètres à parcourir jusqu'au front, au sud de la ville de Bakhmout occupée par les Russes.
Pour rejoindre l'équipe de trois hommes, il faut traverser une tranchée boueuse dans laquelle nous ne cessons de patiner malgré de bonnes chaussures. Sur le chemin, nous croisons le corps en décomposition d'un soldat russe. Une explosion a arraché la jambe de l'homme. L'os est toujours coincé dans une botte militaire noire, à quelques mètres du cadavre.
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Enterrer les Russes morts? Les pilotes de drones n'ont pas le temps, et des activités prolongées en terrain découvert pourraient attirer l'attention des agents de reconnaissance ennemis. A notre arrivée, on nous demande rapidement d'entrer dans le bunker, bien que nos bottes soient enfoncées dans un énorme tas de boue. Le chef répondant au nom de guerre de «touriste» nous dit:
A l'intérieur, un poêle à bois diffuse de la chaleur. Le «touriste» ne porte donc qu'un short et un T-shirt, ses pieds sont enfoncés dans des sandales. Serhij, le pilote des drones d'attaque, est lui aussi en civil dans le bunker, seul le troisième homme, appelé «Scout» («éclaireur » en anglais), est habillé en militaire. Il assemble les quadcoptères juste avant leur utilisation et fixe des projectiles à charge creuse sciés à l'aide de serre-câbles. Pour le mécanisme de mise à feu électrique, il utilise pour chaque drone deux rayons de vélo du fabricant suisse DT Swiss, dont il plie l'un à la forme souhaitée à l'aide d'une pince.
Le «touriste» fait s'envoler un grand quadricoptère sur lequel est fixé un support avec deux antennes. Celui-ci sert à amplifier le signal radio des drones d'attaque. Pendant ce temps, Serhij est assis en tailleur sur un lit de cabine et chausse de grosses lunettes-écrans. Dès que la liaison radio entre le petit drone de combat et le bunker est établie et qu'une vidéo est transmise sur l'écran devant les yeux de Serhij, celui-ci démarre le quadricoptère. La chasse commence.
La vidéo que l'appareil enregistre en vol est également transmise sur un écran dans l'abri. Peu de temps après, le drone se retrouve de l'autre côté du front. Plusieurs positions russes échelonnées sont maintenant visibles, entre lesquelles se trouvent des habitations détruites. Le terrain est parsemé d'entonnoirs d'obus. Le «touriste» explique:
Et d'ajouter: «Contrairement aux drones russes, qui ne reçoivent plus de signal après environ sept kilomètres, nous avons une portée de plus de 20 kilomètres. Nous pouvons ainsi attaquer les lignes de ravitaillement des Russes.»
La destination de Serhij est le petit village de Kodema, situé sur une de ces routes de ravitaillement. Il ne faut pas longtemps pour que la caméra identifie un camion militaire de marque Ural à un croisement de routes.
Serhij amorce alors un grand virage et laisse le quadricoptère descendre en biais et heurter de face la cabine du conducteur. Avant que l'image ne devienne brusquement floue et commence à scintiller, on peut encore distinguer sur le capot le grand «Z» du corps d'invasion russe. Alors que les chasseurs se réjouissent d'avoir touché, des salves de missiles russes Grad s'abattent à quelque distance de l'abri.
Il s'agit maintenant de déterminer si le coup a eu l'effet escompté. Il faut plus de dix minutes pour que le quadricoptère suivant de Serhij atteigne la route. L'écran du bunker montre le camion Ural en feu qui est sorti de la route. Aucune personne n'est visible.
La batterie du drone n'étant plus qu'à moitié pleine, le pilote se remet en chasse. À côté d'une ferme dont le toit a été recouvert par les ondes de choc des projectiles explosés, Serhij découvre un autre camion dans une sorte de garage. Sur la surface de chargement est installé un lanceur avec 40 tubes, et dans chaque canon se trouve une roquette Grad.
Soudain, il se passe quelque chose d'étrange: alors que le drone en approche de la cible n'est plus qu'à quelques mètres du garage, l'image vidéo se met à scintiller et Serhij perd le contrôle du quadricoptère. En peu de temps, l'équipe envoie au total six drones vers le même objectif, mais sans succès. Le «touriste» explique:
Ce n'est qu'au septième essai que cela fonctionne: le quadricoptère touche le lance-roquettes par-derrière. Les drones suivants confirment la frappe: du garage et du camion, il ne reste que des débris fumants.
Chaque quadricoptère coûte l'équivalent de 500 francs. S'il permet de toucher des véhicules ou des systèmes d'armes valant plusieurs centaines de milliers, voire des millions de francs, c'est une bonne affaire. Près du garage détruit, le drone numéro dix trouve un char de grenadiers BMP-2.
Deux soldats russes, assis en haut de l'engin, entendent l'appareil et sautent à temps. Serhij contourne le char, il doit le toucher au niveau de la paroi latérale. Un peu plus tard, le drone numéro 11 trouvera le BMP-2 en feu. Mais la batterie de ce drone est maintenant très faible, Serhij doit trouver une cible de toute urgence avant qu'il ne s'écrase.
Il aperçoit un petit camion, entame l'approche vers la cible, mais au dernier moment, le touriste lui ordonne de détruire un char de grenadiers à roues garé non loin de là. Le conducteur du camion léger réalise-t-il qu'il a échappé de peu à la mort?
En prenant congé, le «touriste» nous dit: