Quand la journée touche à sa fin, la vie plonge dans l'obscurité pour beaucoup d'Ukrainiens. Une grande partie de la population doit faire face à des coupures d'électricité quotidiennes qui durent des heures. Pour certains, l'approvisionnement en électricité est même interrompu pendant plusieurs jours. «La situation est très grave», a affirmé le Premier ministre ukrainien Denys Chmyhal lors d'une réunion du gouvernement.
Cette situation est la conséquence des attaques aériennes continues de la Russie contre l'infrastructure énergétique du pays. Une stratégie que le Kremlin avait déjà menée l'hiver dernier.
Au total, depuis le début de la guerre en février 2022, l'Ukraine a ainsi perdu neuf gigawatts de capacité électrique, soit la moitié de la puissance totale de ses centrales électriques, selon ses propres chiffres.
Le chef du fournisseur d'énergie public Ukrenergo, Volodymyr Kudryzkyi, soulignait:
Il pourrait s'écouler des années avant que le pays ne rétablisse complètement son industrie électrique. L'objectif des Russes est une panne permanente du réseau électrique dans tout le pays, affirme Volodymyr Kudryzkyi au Redaktionsnetzwerk Deutschland:
Empêcher cela et organiser la reconstruction de l'Ukraine, tel est le sujet d'une conférence de deux jours qui s'est tenue cette semaine à Berlin. Les quelque 2 000 participants issus de la politique, de l'économie et d'organisations internationales se tournent vers l'avenir: comment l'Ukraine peut-elle devenir plus résistante? Comment aider les petites et moyennes entreprises ukrainiennes à être prêtes pour la reconstruction de leur pays? La situation est complexe.
Car pendant que l'on débat de la reconstruction à Berlin, la mort et la destruction ne font pas de pause en Ukraine. Dans la nuit de mardi à mercredi, la Russie a de nouveau mené des attaques aériennes massives sur l'Ukraine. Des missiles de croisière, des roquettes et des drones ont été lancés sur la capitale Kiev et d'autres régions du pays. La défense aérienne ukrainienne aurait intercepté la plupart des projectiles.
Un missile balistique russe de type Iskander a toutefois réussi à passer la défense aérienne ukrainienne et s'est écrasé dans le sud du pays. De plus, des débris des missiles interceptés sont tombés sur Kiev, déclenchant plusieurs incendies.
Rien qu'entre mars et mai, la Russie a effectué plus de 2300 attaques de ce type, selon la base de données de l'organisation américaine «Armed Conflict Location and Event Data» (ACLED). Au cours des trois mois précédents, ce chiffre était inférieur à 2000 attaques aériennes. De mars à mai, six attaques de grande envergure ont été menées contre l'infrastructure énergétique dans toutes les régions du pays, a annoncé Ukrenergo début juin. Elles révèlent une faiblesse flagrante de la défense ukrainienne.
En effet, les capacités de la défense aérienne ne sont toujours pas suffisantes pour protéger les soldats sur le front, la population civile dans les centres urbains et les infrastructures énergétiques. Début juin, une attaque russe contre la centrale hydroélectrique de DniproHES près de Zaporijia dans le sud de l'Ukraine a fait naître des inquiétudes quant aux restrictions de l'approvisionnement en eau potable.
Au cours des dernières semaines, les soutiens à l'Ukraine ont intensifié leurs efforts: l'Allemagne va livrer deux systèmes de défense antiaérienne Patriot supplémentaires. Kiev en aura donc cinq à disposition au total. Selon Zelensky, l'Ukraine a besoin d'au moins sept systèmes Patriot.
Les systèmes de défense antiaérienne et l'aide internationale pour la réparation de l'infrastructure sont désespérément nécessaires. Selon Dmytro Sacharuk, directeur de DTEK, la plus grande entreprise énergétique privée du pays, si ces mesures ne sont pas mises en œuvre ou ne sont pas suffisantes, les Ukrainiens pourraient faire face au «scénario catastrophe»: des jours entiers avec des coupures de courant pouvant aller jusqu'à 20 heures.
Les dommages à l'infrastructure énergétique rendraient progressivement la vie en Ukraine extrêmement difficile; les grandes usines devraient envisager des restrictions dès novembre. L'industrie de défense serait affectée dès décembre, et les infrastructures critiques telles que les systèmes d'eau et d'assainissement ne fonctionneraient plus correctement à partir de janvier 2025.
Sacharuk ne veut toutefois pas créer la panique, mais simplement appeler à agir rapidement. Pour ce faire, il souhaite augmenter le volume des importations et d'installer autant de production d'électricité que possible.
Pourtant, les efforts nationaux de reconstruction semblent au point mort. Il semble qu'il y ait des divergences entre le gouvernement ukrainien et le ministère des Infrastructures, dont fait partie l’agence d'Etat pour la reconstruction. Il y a environ un mois, le président Zelensky a renvoyé le ministre des Infrastructures Oleksandr Koubrakov.
Lundi, le chef de l’agence d'Etat de reconstruction, Mustafa Nayyem, a ensuite présenté sa démission. Dans un message publié sur Facebook, il a justifié sa décision par des «obstacles systémiques» qui l'empêchent d'exercer efficacement ses pouvoirs.
Peu avant, le Premier ministre Denys Chmyhal avait apparemment interdit au chef des autorités de participer à la conférence sur la reconstruction. Comme le rapporte Politico, Nayyem devait à la place présenter ce mercredi à Kiev un rapport sur les progrès de la reconstruction. Des fonctionnaires gouvernementaux anonymes ont toutefois donné au journal d'autres raisons pour cette démission: au sein de la direction du pays, il y aurait des doutes sur l'efficacité du chef des autorités et du ministre. D'autres évoquent des «rivalités politiques». Quant à Nayyem, il se plaint sur Facebook de «cauchemars» bureaucratiques.
Malgré ces querelles, la conférence sur la reconstruction qui s'est tenue à Berlin a permis de lancer d'importantes initiatives. Selon la ministre allemande du Développement Svenja Schulze (SPD), plus de 100 accords ont été signés. Parmi eux, des déclarations d'intention entre entreprises et entre gouvernements. Cela inclut une initiative visant à former 180 000 spécialistes de la reconstruction.
Traduit et adapté par Noëline Flippe