Le communiqué des autorités américaines laisse peu de place au doute. La Russie est accusée d'avoir utilisé un «agent chimique» contre les forces ukrainiennes sur le champ de bataille. Il ne s'agit pas d'un «incident isolé», assure le département d'Etat, mais bien d'une stratégie pour «déloger les adversaires des positions fortifiées» et «réaliser des avancées tactiques». Si avéré, cela constituerait une violation de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC), pourtant signée et ratifiée par Moscou.
Le produit en question? La chloropicrine, un dérivé très toxique du chloroforme utilisé à de nombreuses fins depuis sa découverte en 1848. Tout d'abord comme arme chimique: cette substance a été déployée «en grandes quantités» pendant la Première Guerre mondiale, écrivent les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), lesquels décrivent la chloropicrine comme un «agent nocif pour les poumons».
Cette substance, qui se présente comme un liquide légèrement huileux, incolore à jaune et dégageant une forte odeur irritante, présente les caractéristiques d'un gaz lacrymogène. Elle provoque de sévères irritations aux yeux et à la peau, ainsi que des brûlures à la bouche et au système respiratoire. Son absorption s'accompagne de nausées, vomissements, diarrhée, maux de tête et vertiges, listent les CDC, et peut même entraîner la mort.
Désormais bannie des champs de bataille, la chloropicrine a fait fortune dans un autre domaine, celui de l'agriculture. Aux Etats-Unis, elle sert encore aujourd'hui de fumigant des sols en raison de son efficacité contre plusieurs champignons, nématodes et insectes. En France, elle était utilisée jusqu'en 1991 par les gardes-chasses pour exterminer les espèces nuisibles, comme les renards ou les blaireaux, rapporte le Figaro.
La chloropicrine a également été liée à une affaire criminelle. Il s'agit du meurtre des deux jeunes femmes, commis en France fin 2004. Les deux victimes, disparues pendant plusieurs semaines, avaient été retrouvées mortes sans aucune trace de coup ni d’étranglement. L'enquête avait conclu qu'elles avaient été empoisonnées à la chloropicrine.
Le principal suspect, Jean-Pierre Treiber, utilisait ce produit dans le cadre de son travail de garde-chasse. Le toxicologue aurait dit au procureur chargé du dossier, à propos de la toxicité du produit:
Ce n'est pas la première fois que l'usage d'armes chimiques est évoqué dans le cadre de la guerre en Ukraine. Kiev et Moscou s'accusent mutuellement d'avoir eu recours à de tels produits depuis le début du conflit.
Début janvier, les autorités ukrainiennes affirmaient avoir recensé plus de 600 cas d'utilisation d'armes chimiques de la part des forces russes. Le plus souvent, selon Kiev, elles larguaient des grenades lacrymogènes sur les positions ennemies à l'aide de drones. Ces grenades étaient remplies d'une substance causant des effets similaires à ceux provoqués par la chloropicrine.
Dans son communiqué, le département d'Etat accuse la Russie de «mépriser de manière permanente» ses obligations au titre de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Un comportement qui, selon Washington, «s'inscrit dans la même logique que les opérations d'empoisonnement d'Alexeï Navalny et de Sergueï Skripal». Ancien agent double pour les services secrets britanniques, ce dernier avait été empoisonné avec des agents neurotoxiques en 2018. (asi)