Dans le petit monde de l'espionnage international, la Suisse et l'Allemagne sont considérées comme un terrain de jeu de choix pour les espions russes. En Suisse, c'est la présence d'organisations internationales et une attitude plutôt ouverte de la part de l'Etat qui permettent cette situation, avec la présence de nombreux agents secrets à la solde de Poutine.
L'Allemagne, quant à elle, se trouve dans le collimateur des Russes pour une toute autre raison: il s'agit du deuxième fournisseur d'armes pour l'Ukraine. De plus, environ 10 000 soldats ukrainiens sont formés chaque année en Allemagne au maniement des systèmes d'armes occidentaux. En conséquence, les espions russes sont ici moins à la recherche d'informations générales que de renseignement militaire précis.
Un chiffre diffusé ces jours-ci par la radio publique allemande crée la polémique. Elle concerne la présence de drones espions sur le territoire allemand: le pays en avait recensé 172 en 2022. En 2023, il a bondi à 446.
C'est dans ce contexte que deux hommes ont été arrêtés par les autorités, jeudi. La ministre intérieure de l'allemande, Nancy Faeser, a dénoncé «un cas particulièrement grave» d'espionnage de la part des services de Vladimir Poutine. Dans la foulée, l'ambassadeur russe a été convoqué par le Ministère des Affaires étrangères allemand.
Les suspects, qui se trouvent en détention provisoire, sont Dieter S. et Alexander J. deux doubles nationaux germano-russes âgés dans la fin de la trentaine. Ils ont été arrêtés mercredi à Bayreuth, une ville située dans le nord de Bavière, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de la frontière tchèque. Dieter S a avoué avoir eu des contacts avec les services secrets russes.
L'affaire ne s'arrête pas là. Car les deux hommes ne se contentaient pas de faire du renseignement. Selon les informations rassemblées, ils étaient prêts à agir sur le territoire allemand. Dieter S a ainsi indiqué qu'en octobre dernier, des actes de sabotage avaient été envisagés contre des installations militaires, notamment à l'explosif.
Alexander J. l'a aidé en ce sens depuis le mois de mars en faisant du repérage, prenant des photos et des vidéos des installations et de transports militaires. Les deux suspects n'auraient toutefois pas réussi à acquérir des informations sensibles et n'ont pas fait de tentative concrète de sabotage.
Une base militaire américaine basée à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Bayreuth, dans la commune de Grafenwöhr, faisait aussi partie des cibles potentielles des deux espions. Les Américains y forment des soldats ukrainiens à l'utilisation de chars de combat Abrams.
Les deux suspects sont accusés d'avoir espionné des voies de transport par lesquelles des armes sont acheminées d'Allemagne vers l'Ukraine.
Dieter S. a attiré l'attention des enquêteurs allemands depuis un certain temps déjà. De décembre 2014 à septembre 2016, il aurait servi dans une unité militaire de la République séparatiste de Donetsk, qui se battait contre l'armée ukrainienne et commettait des actes de violence contre la population civile.
Cette «République populaire», située dans le sud-est de l'Ukraine, a été annexé par la Russie en septembre 2022. Mais le parquet fédéral allemand la considère comme une organisation terroriste. Dieter S. fait donc, en conséquence, l'objet d'une enquête pour suspicion d'appartenance à un groupe terroriste.
L'Allemagne ne veut pas être accusée d'adopter une attitude de laisser-faire vis-à-vis des espions russes, comme certains le reprochent à la Suisse. Au cours des deux dernières années, le pays a expulsé environ 70 diplomates russes et fait fermer quatre des cinq consulats généraux. Mais cela n'a apparemment pas suffi à empêcher complètement les activités d'espionnage sur son territoire national
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)