«On répare, on reconstruit»: Malgré les lourdes pertes causées par la guerre, la plupart des entreprises ukrainiennes clientes du Crédit Agricole continuent leur activité, voire se réinventent, sans attendre que la paix soit revenue.
A Kiev, lors d'une rencontre avec les équipes locales organisée par la banque fin janvier, on croise quelques immeubles en ruine, mais beaucoup d'autres sont en chantier ou déjà rebâtis, alors que les alertes au bombardement continuent à retentir plusieurs fois par jour.
Dans ce climat, nombre d'entreprises font preuve de résilience et continuent à fonctionner, malgré les pertes, matérielles comme humaines, explique le directeur général de la filiale ukrainienne, Carlos de Cordoue.
Résultat, «Crédit Agricole Ukraine n'est pas un cas particulier dans le groupe ni un fardeau, financièrement parlant». La filiale a assuré «une rentabilité continue» ces dernières années, déclare Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, venu à Kiev pour la troisième fois depuis le début de la guerre, pour montrer son soutien au personnel de sa filiale, 2100 Ukrainiens et une poignée d'expatriés.
Parmi les banques étrangères présentes en Ukraine, seulement deux sont françaises: Crédit Agricole Ukraine et Ukrsibbank, filiale de BNP Paribas.
En 2022, la filiale ukrainienne du semencier français Limagrain a perdu une partie des semences de maïs et de tournesol destinées aux agriculteurs ukrainiens, entreposées dans un bâtiment proche d'un aéroport militaire au sud de Kiev, pilonné par l'armée russe qui tentait de conquérir la capitale en 2022.
Mais la perte des terres agricoles de l'est du pays, occupé par les Russes, conjuguée aux mauvaises conditions météo ont provoqué «une baisse de 60% de la production», explique-t-il après une réunion entre des entrepreneurs ukrainiens et Philippe Brassac, interrompue par une alerte aérienne. Les clients, eux, n'y ont pas laissé de plumes, assure-t-il.
Karbivsky insiste sur les pertes humaines subies et le besoin d'aider les employés et leurs familles venus des zones occupées à se reloger. Le négociant en céréales Nibulon a, lui aussi, connu d'importantes pertes humaines, dont son président et fondateur, tué dans un bombardement.
Son fils Andrii Vadatoursky, qui a repris les rênes, estime à plus de «500 millions de dollars les dommages directs pour Nibulon, dont seulement 32% des actifs sont encore opérationnels.» Des entrepôts, des plateformes logistiques et 25 500 hectares de terres agricoles ont été détruits, minés ou occupés, «ce qui rend les opérations quotidiennes de plus en plus difficiles.»
Pour Nibulon, le plus dur a été l'impossibilité de continuer à faire passer les péniches de grains par le Dniepr et d'utiliser son terminal céréalier sur le port de Mykolaïv, voisin d'Odessa, plusieurs de ses navires ayant été attaqués par les Russes dès l'arrivée sur la mer Noire.
La société a donc investi 22,5 millions de dollars dans un nouveau terminal de transbordement situé sur le Danube, y envoyant les céréales par le train.
Et Nibulon continue à investir pour se moderniser, avec la numérisation de l'écosystème qui relie les fournisseurs, les agriculteurs et les partenaires logistiques, et l'automatisation de son matériel agricole. La chaîne de stations d'essence ukrainienne Okko group, qui importait 70 à 80% du carburant qu'elle distribuait avant-guerre, a, elle aussi, entièrement revu son circuit logistique quand l'invasion russe lui a barré la route de la mer Noire.
Son PDG Vassyl Danyliak s'est ensuite lancé dans l'agrocarburant: acheter des terres agricoles et construire des usines de transformation «a permis de nous diversifier, mais aussi d'investir dans l'énergie propre», explique-t-il, dans la cave d'un restaurant où les patrons présents se sont réfugiés après le déclenchement d'une alerte aérienne.
Une installation de stockage d'énergie est en construction dans l'ouest de l'Ukraine, et «nous cherchons cette année des financements pour construire un parc d'éoliennes», ajoute-t-il.