La violence des combats en Ukraine rend illusoire la prise en charge précoce du soldat blessé, le meilleur gage de sa survie, poussant la médecine de guerre à prévoir des soins prolongés sur le terrain dans un conflit de haute intensité.
Dans cette guerre de tranchées, les pertes de chaque côté restent secrètes, mais sont vertigineuses. Le président Volodymyr Zelensky les évaluait récemment à 46 000 soldats ukrainiens tués et 390 000 blessés depuis le début de l'invasion russe à grande échelle le 24 février 2022.
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Fin 2024, le secrétaire américain à la Défense de l'époque, Lloyd Austin, évoquait quant à lui 700 000 militaires russes tués ou blessés.
Les services de santé militaire occidentaux ne sont pas dimensionnés pour de tels afflux. Ils étaient par ailleurs taillés jusqu'ici pour les conflits asymétriques contre des jihadistes, où l'extraction rapide des blessés par les airs était beaucoup plus aisée.
Aujourd'hui, face à l'omniprésence sur le front de drones chargés d'explosifs et de défenses antiaériennes qui interdisent l'utilisation d'hélicoptères, le blessé est condamné à tenter de survivre de longues heures en attendant son évacuation.
Les unités étant fréquemment dispersées le long du front, le médecin ou l'infirmier ne sont pas forcément à proximité immédiate du blessé et se porter à son secours est souvent trop dangereux pour être envisagé.
D'autant que le corps médical et les hôpitaux constituent des cibles privilégiées. «Environ 70%» des membres du personnel de santé «engagés sur le terrain au début de la guerre sont aujourd'hui décédés ou inaptes au combat», souligne le médecin-chef Pierre-Antoine (les militaires français ne donnent le plus souvent pas leur nom de famille pour des raisons de sécurité), du service de santé français des armées, le SSA.
Le blessé doit donc avant tout compter sur lui-même ou sur ses camarades pour prodiguer les premiers gestes. Et notamment poser un garrot pour stopper une hémorragie massive, la première cause de mortalité évitable.
Sur la ligne de front, «on présume que les blessés en état critique n'y survivent pas, tandis que les blessés moins graves doivent s’extraire en autonomie», affirme le médecin-chef Paul Balandraud dans la revue interne du SSA. Du sauvetage rapide au combat, il faut donc passer à un soin médical prolongé sur le terrain.
«On travaille sur la capacité à faire de la télémédecine» ou encore au déploiement sur le terrain «d'échographes très légers» pour évaluer le saignement, explique le médecin-chef Michaël, du commandement français des opérations spéciales (COS). Ce matériel d'échographie pourra être manié par du personnel non formé, car «piloté à distance» par un spécialiste. Mais le rayonnement électromagnétique émis par ce procédé fait prendre le risque d'être repéré par l'ennemi et pris pour cible.
Le drone est également envisagé comme moyen de ravitaillement «pour apporter à une quinzaine de kilomètres du sang, des antibiotiques et du matériel à une équipe médicale», ajoute-t-il.
L'évacuation du blessé est ensuite effectuée de nuit, si possible par temps de brouillard ou pluvieux, relève l'institut britannique (Rusi) dans une note.
Afin d'éviter d'exposer les hommes, les armée ukrainienne et occidentales testent des mules robotisées, des drones terrestres qui acheminent le blessé vers un lieu davantage sécurisé.
La prise en charge la plus rapide possible reste primordiale. Le garrot «doit être posé pendant six heures maximum avant de provoquer une nécrose du membre», rappelle Paul Balandraud.
En Ukraine, le nombre des amputés est «absolument monstrueux», évalué à plus de 100 000, dit l'officier français sous couvert d'anonymat. Par comparaison, quelque 56 000 soldats français avaient subi de telles amputations au cours de la Première Guerre mondiale.