Bien que le front ne soit pas loin, les agriculteurs ukrainiens ont semé du blé d'hiver. Les tiges vert clair ont déjà émergé de la terre. Quelques mètres au-dessus des champs, trois hélicoptères de combat ukrainiens passent en trombe. Dans quelques minutes, ils lanceront leurs missiles sur les positions russes.
L'impact des hélicoptères de combat est plutôt d'ordre moral: ils montrent que l'armée de l'air ukrainienne tient debout. Mais c'est dans la lutte contre les drones que les hélicoptères sont désormais les plus importants. Environ 60% des drones Shahid avec lesquels les Russes attaquent les villes ukrainiennes sont désormais abattus par des hélicoptères. Même si dans les capitales occidentales, les spéculations sur une solution de paix vont bon train, la guerre se poursuit impitoyablement.
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Nous sommes sur la route à l'ouest de la forteresse de Pokrovsk, qui fait l'objet de violents combats. Notre destination est une commune rurale de la région de Donetsk, où devrait se trouver un camion de pompiers offert par la ville de Saint-Gall à l'automne 2023. La dernière fois que nous l'avons vu en action, c'était dans la région de la ville minière de Toretsk, à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Pokrovsk.
Mais nous sommes sans nouvelles depuis l'été dernier. Et logiquement, nous avons pensé que le camion avait été détruit.
Pour nous rendre dans la région de Toretsk, nous avons traversé Pokrovsk, puis nous avons roulé vers l'est jusqu'à la prochaine grande ville, Kostiantynivka. Mais les Russes sont si proches de Pokrovsk à l’heure actuelle qu’on a préféré faire un plus grand détour plutôt que de prendre le risque d'être attaqués par un drone. Nous passons devant une mine d'argile où d'énormes excavateurs à câbles datant de l'époque soviétique déplacent des masses de terre à ciel ouvert. Plus tard, on croise un char de combat Leopard 2 sur la route.
Même si nous restons prudents à cause des drones russes, la situation est bien pire de l'autre côté du front pour les soldats russes. La supériorité ukrainienne dans l'espace aérien au-dessus du champ de bataille et le long des voies de ravitaillement russes est sans équivoque.
Les petits quadricoptères (un type de drones), équipés d'ogives pesant jusqu'à 1,5 kg, ont permis non seulement d’interrompre l'offensive russe à Pokrovsk, mais aussi aux Ukrainiens de regagner du terrain. Mais on ne sait pas combien de temps la situation va durer et comment les dirigeants russes vont réagir.
A Kostiantynivka, on est à deux pas du dépôt de pompiers. Mais il est déjà tard et nous décidons de passer la nuit en ville. Le couvre-feu commence déjà à 15 heures et dure jusqu'à 11 heures le lendemain.
Malgré tout, il y a encore des magasins et des restaurants qui continuent à tourner dans ces conditions. Les Russes bombardent régulièrement la ville, parfois avec de l'artillerie, puis ce sont des bombes planantes qui explosent. Il y a aussi des drones. Dans les quartiers est, les soldats ont déjà creusé des tranchées. Les Russes sont à environ huit kilomètres de là.
Le lendemain matin, direction le marché. On y trouve quasiment tout ce dont on a besoin au quotidien. Il y a des vestes d'hiver aux motifs de camouflage, des appareils de vision nocturne et d'autres articles militaires. La population civile a fui en grande partie et des soldats ont désormais emménagé dans des immeubles préfabriqués soviétiques. Malgré les bombardements incessants, les autorités parviennent toujours à réparer l'approvisionnement en eau et en électricité dans une grande partie de la ville. L'espoir russe d'imposer à la population civile ukrainienne un hiver rude sans chauffage ni lumière a tourné court.
A quelques kilomètres de la ville, nous arrivons dans une zone qui ressemble à un camp militaire. Nous entendons des tirs d'artillerie ukrainiens venant de toutes les directions. Les cibles sont des positions russes près de la ville minière de Toretsk. Des rapports non confirmés indiquent que les Ukrainiens ont repris une partie de la ville que l'on croyait perdue.
Sur les routes de campagne, il n'y a presque plus que des véhicules militaires. Malheureusement, l'ancien dépôt de pompiers se trouve ici, entouré de villages qui sont de plus en plus touchés par les tirs. Le front est à une douzaine de kilomètres.
Sur un bâtiment avec deux grandes portes de garage rouges, on peut lire en cyrillique: «Centre pour la sécurité des citoyens». On retrouve Yuri, un pompier que nous avions rencontré lors de visites précédentes. Il a mis un uniforme de pompier de Saint-Gall pour l'occasion. Mais la discussion dévie rapidement sur la guerre. Yuri nous montre les dégâts causés par une bombe planante. Les Russes l'avaient larguée sur une école située à proximité. Il faut savoir que dans cette région, l'enseignement ne se fait plus qu'en ligne. Les soldats utilisent donc souvent les écoles vides comme logement. On ne sait pas si c’était le cas de cette école.
En tout cas, un gros fragment de métal de la bombe a traversé le dépôt des pompiers. Les pompiers nous apportent le morceau d’environ 15 kilos, qu'ils ont trouvé devant le dépôt. La pièce est entrée par le mur arrière du bâtiment, a volé très haut à travers les pièces d'habitation et est tombée devant le centre de sécurité, près des portes de garage. Yuri et ses collègues ont déjà réparé le plus gros des dégâts. Par miracle, les deux camions de pompiers sont restés intacts.
Les pompiers utilisent le véhicule offert par Saint-Gall et ses équipements régulièrement. Mais lorsqu'ils interviennent, ils sont obligés de le faire avec un gilet pare-balles et un casque de combat. Ne serait-il pas temps d'abandonner le dépôt et de déplacer les camions de pompiers vers un endroit moins dangereux? «Nous n'avons pas encore reçu d'instructions en ce sens», répond Yuri avec diplomatie. Et de conclure:
Traduit de l'allemand par Anne Castella