Pourquoi ce sommet a une «importance cruciale» pour Poutine
Après les dirigeants européens et chinois, le président russe Vladimir Poutine se rend à son tour en Asie centrale pour un sommet jeudi avec les cinq dirigeants de cette région riche en ressources naturelles, où l'influence traditionnelle de Moscou est mise à mal.
Organisé à Douchanbé, la capitale tadjike, ce sommet avec la Russie et les ex-républiques soviétiques centrasiatiques (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) est seulement le deuxième depuis la chute de l'URSS en 1991. Ces pays se rapprochent activement de la Chine, et entretiennent de bonnes relations avec l'Occident.
Lors du premier sommet à l’automne 2022, Vladimir Poutine avait dénoncé les «tentatives externes d’entraver le développement de l'intégration (russo-centrasiatique), de briser les liens étroits et la coopération rapprochée formés au fil de l’histoire».
Un ballet diplomatique inédit
Longtemps considérée par les Occidentaux comme une région périphérique, sous influence russe exclusive entre le milieu du 19e siècle et la chute de l'URSS, l'Asie centrale a été depuis l'invasion russe de l'Ukraine en 2022 le théâtre d'un ballet diplomatique sans précédent. Deux sommets ont été organisés cette année dans la région, avec l'Union européenne en avril, puis la Chine en juin, mais aussi la Turquie l'an passé.
«Ce format (5+1) est une plateforme d'interaction plébiscitée et efficace, permettant aux États d'Asie centrale de discuter et de faire valoir leurs positions de manière coordonnée sur les enjeux régionaux et mondiaux», a déclaré à l'AFP la diplomatie kazakhe.
Un représentant du ministère tadjik des Affaires étrangères a estimé auprès de l'AFP en amont de ce sommet «à l'importance cruciale» que «les accords conclus contribueront à renforcer la confiance et le partenariat entre les pays d'Asie centrale et la Russie».
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Poutine effectuera d'abord une visite d'Etat jeudi à Douchanbé, durant laquelle il rencontrera le dirigeant tadjik Emomali Rakhmon, selon Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du président russe. Le sommet Russie-Asie centrale à proprement parler débutera dans la foulée jeudi après-midi.
La concurrence de Pékin
Cette région grande comme l'Union européenne mais enclavée et peuplée de seulement 80 millions d'habitants tente de retrouver son rôle historique de carrefour commercial. La Chine voisine y est déjà solidement implantée depuis le lancement en 2013 des «Nouvelles routes de la soie», colossal projet d’infrastructures remodelant le réseau de transports entre l’Asie et l’Europe.
Après la rivalité entre les empires russe et britannique dans la région au 19e siècle, «il s'agit de la dernière version du "Nouveau Grand Jeu" pour l'Asie centrale», estime pour l'AFP le chercheur Ilia Lomakine, basé au Kirghizstan. «Outre la Russie, partenaire traditionnel, la Chine et l'Union européenne sont devenues ces dernières années des participants actifs de ce "Nouveau Grand Jeu"», résume l'expert.
Malgré la concurrence ouverte livrée par Pékin, Moscou nie toute tension. «Il n'y a pas de rivalité, seulement de la coopération. Cela n'entrave pas le développement de nos liens traditionnels avec cette région», avait affirmé Vladimir Poutine fin 2024.
L'économie russe bousculée
La Russie tente de maintenir sa présence dans cette région qu’elle considère comme sa zone d’influence prioritaire, via notamment des accords énergétiques, dont des livraisons de gaz et la construction de centrales nucléaires.
Le chercheur Lomakine note «l'insuffisance des efforts déployés pour maintenir ces liens» et les dirigeants centrasiatiques en profitent pour trouver des alternatives hors du giron russe. Lors du sommet de 2022, le dirigeant tadjik Emomali Rakhmon avait demandé du «respect» à Vladimir Poutine, scène rarissime venant d’un allié.
Economiquement, Moscou est aussi bousculé. Selon les derniers chiffres russes de 2023, les échanges commerciaux de l'Asie centrale avec la Russie s'élevaient à environ 44 milliards de dollars, contre environ 64 milliards avec l'Union européenne en 2024 (54,27 milliards d'euros). La Chine est devenue le principal partenaire, mais les chiffres diffèrent: 66,2 milliards de dollars en 2024 selon les autorités centrasiatiques, voire 94,8 milliards d'après les douanes chinoises.
Au niveau sécuritaire le Kremlin n'est plus seul non plus, avec la livraison d'armes chinoises et turques aux armées centrasiatiques, et n'a pas pesé dans la résolution récente de problèmes frontaliers cruciaux. (jzs/afp)