«C'est l'occasion idéale pour Poutine de diviser l'Otan»
Des avions de combat russes au-dessus de l'Estonie, des drones russes au-dessus de la Pologne: les violations répétées de l'espace aérien par la Russie inquiètent l'Otan. Deux fois en quelques semaines, l'alliance occidentale a convoqué une réunion d'urgence pour discuter d'une réponse appropriée. Résultat provisoire: un avertissement adressé à Poutine, l'informant que la prochaine provocation pourrait entraîner des contre-mesures militaires de la part de l'Otan.
Est-ce suffisant? Ou l'alliance devrait-elle adopter une position plus ferme, allant jusqu'à menacer d'abattre des avions russes? L'expert militaire américain Michael J. Williams considère que les hésitations de l'Otan sont une erreur et explique pourquoi le secrétaire général Mark Rutte a placé l'alliance dans une situation délicate.
Depuis plusieurs semaines, les forces aériennes russes violent l'espace aérien de pays membres de l'Otan comme la Pologne, la Roumanie ou l'Estonie, parfois avec des drones, parfois avec des avions de combat. Comment expliquez-vous cette recrudescence?
Michael J. Williams: La situation est en effet très grave. Nous observons des violations de l'espace aérien par la Russie depuis des années. Mais ce que fait Poutine actuellement revêt une tout autre dimension. Il teste la détermination de l'Otan et cherche à identifier d'éventuelles faiblesses. Je considère cela comme une escalade dangereuse.
Quelles sont les motivations derrière cela?
Plusieurs raisons expliquent cette situation.
Il s'agit également de provocations ciblées visant à déstabiliser l'Occident. L'objectif stratégique de Poutine est de diviser et d'affaiblir l'Otan. On en observe déjà les premiers signes: tandis que les pays d'Europe de l'Est plaident pour une réponse plus ferme face aux violations de leur espace aérien, les membres de l'Otan d'Europe de l'Ouest cherchent à éviter toute escalade.
Où voyez-vous le plus grand danger?
Le risque est qu'un désaccord se transforme en véritable fracture. Par exemple, si des avions de combat italiens, dans le cadre du NATO Air Policing (Police du ciel de l'Otan), devaient abattre un appareil russe dans l'espace aérien estonien parce qu'il constitue une menace, c'est finalement l'Italie, et non l'Estonie, qui prend la décision.
Une situation qui offre à Poutine une occasion idéale pour semer la division au sein de l'alliance.
La décision de tirer n'est pas prise par l'Otan, mais par le gouvernement national concerné?
Exact. En août, l'Italie a pris le commandement de la Police du ciel de l'Otan dans les pays Baltes pour une période de quatre mois. Ce sont donc des pilotes italiens qui ont escorté les MiG russes hors de l'espace aérien de l'Otan en Estonie. L'alliance dispose de ses règles d'engagement, mais chaque Etat membre conserve les siennes. La décision d'avoir recours à la force létale reste donc du ressort des pays.
La Suède a menacé, en dernier recours, d'abattre elle-même les avions russes. «Aucun pays n'a le droit de violer l'espace aérien suédois», a déclaré le ministre de la Défense Pal Jonson. C'est ainsi que fonctionne la dissuasion?
Pourquoi n'y a-t-il jusqu'à présent aucune violation de l'espace aérien en Suède, en Finlande ou en Allemagne? Parce que Poutine cible les pays les plus faibles et vulnérables, qu'il cherche à isoler. Les autres membres de l'Otan craignent davantage une escalade s'ils abattent un avion russe habité. Cette hésitation profite à la Russie.
Mardi, le président américain Donald Trump a également déclaré, en réponse à une journaliste, qu'il approuverait que l'Otan abatte des avions russes en cas de violation de l'espace aérien. Quelle est la logique derrière cette position de Trump?
C'est un signal clair à la fois pour l'Otan et pour la Russie: Trump soutient ses partenaires européens au sein de l'alliance tout en adressant un avertissement au Kremlin. La question reste maintenant de savoir si Poutine ignorera cet avertissement.
Après la réunion du Conseil de l'Otan mardi, le secrétaire général de l'alliance, Mark Rutte, a averti la Russie que l'Otan pourrait recourir à des moyens militaires en cas de nouvelles violations. Quelle crédibilité accorder à cet avertissement?
Mark Rutte a envoyé un message clair, mais a en même temps placé l'alliance dans une position délicate.
Cela nuirait non seulement à la crédibilité du secrétaire général, mais à celle de l'ensemble de l'Otan. La situation pourrait alors devenir véritablement dangereuse.
Le risque pris en n'abattant pas un avion de combat russe serait plus grand que celui pris en l'abattant?
Exactement, car l'Otan démontrerait alors sa faiblesse, que Poutine pourrait exploiter à de multiples niveaux.
Croyez-vous que Poutine va tester la détermination de l'Otan face à sa menace?
C'est probable. Sans doute pas demain ni dans une semaine, mais il faut s'y attendre à court terme. Poutine agit généralement de manière rationnelle et, jusqu'à présent, l'Otan ne lui a fixé que trop peu de limites. Il l'a constaté et en a tiré parti.
Il se pourrait donc qu'un pilote de l'Otan reçoive prochainement l'ordre d'abattre un avion de combat russe pénétrant dans l'espace aérien allié?
Nous devons envisager ce scénario. En 2015, l'armée de l'air turque a abattu un Su-24 russe – et depuis, il n'y a eu qu'un seul autre cas connu de violation de l'espace aérien.
Ce que les pilotes de l'Otan peuvent ou ne peuvent pas faire est défini par les règles d'engagement («Rules of Engagement»). L'Otan devrait-elle les renforcer pour accroître sa capacité de dissuasion?
C'est la question cruciale. A mon avis, la réponse est oui. Poutine teste actuellement les failles des règles d'engagement de l'Otan: ses avions peuvent pénétrer dans l'espace aérien allié et y voler sur quelques kilomètres avant d'être interceptés. Le lendemain, ils peuvent recommencer. Tant que les appareils russes ne constituent pas une menace immédiate, par exemple en préparant une attaque, l'Otan ne peut recourir à la force létale.
A quoi pourraient ressembler des règles d'engagement plus strictes?
Des réactions plus claires, des seuils plus bas à partir desquels le recours à la force est autorisé. Cela dépend bien sûr aussi de la mission. La Police du ciel de l'Otan obéit à des règles d'engagement différentes de l'opération Eastern Sentry (les Sentinelles de l'Est) mise en place en réponse aux violations de l'espace aérien en Pologne. Mais si l'Otan se limite aux paroles, le risque demeure que Poutine y voie une faiblesse et prépare l'intensification du conflit.
Le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, a déclaré que la défense aérienne de l'alliance avait fonctionné, mais qu'elle devait encore être renforcée. Lors des survols en Pologne, des drones bon marché ont été interceptés avec des missiles coûteux. De plus, les avions de combat de l'Otan n'ont repoussé qu'une partie des drones. Cela vous semble-t-il être un système efficace?
Techniquement, cela fonctionne, mais ce n'est pas durable.
L'Europe doit investir d'urgence dans une défense aérienne moderne et des systèmes de défense anti-drones. Si l'Otan a déjà du mal à gérer quelques drones, on n'ose imaginer ce qui se passerait si des essaims entiers pénétraient dans son espace aérien.
Traduit et adapté par Noëline Flippe